C’est Roosevelt, par une loi de 1938, qui posa ces trois fondements du contrat de travail aux États-Unis : durée hebdomadaire à 40 heures, supplément de 50% pour toute heure au-delà et un salaire horaire qui ne peut pas être inférieur à un minimum (un SMIC) déterminé au niveau fédéral. Avec une réserve pour les heures sup : seules les personnes dont le salaire est en dessous d’un certain seuil sont susceptibles de se les voir payer. (À noter la différence avec la France : l’exception chez nous n’est pas fixée en termes de seuil, mais selon qu’on a ou non le statut de « cadre »).

Toujours est-il que ce seuil des heures sup n’a pas bougé depuis la mi-décennie 70, c’est-à-dire il y a plus de 40 ans. Il s’établit au niveau de 455$ de salaire par semaine. Or, ce qui le plaçait à l’époque au double du salaire médian n’est désormais, inflation salariale aidant, qu’à la moitié du salaire médian.

En clair, le mécanisme des heures sup ne mord plus du tout, comme l’explique ici une étude de la Russell Sage Foundation.

La conséquence se lit sur ce graphique, tiré de la base de données FRED , (occasion d’ailleurs de faire de la pub pour ce formidable outil statistique) : la durée du travail a plutôt eu tendance à augmenter aux États-Unis sans au demeurant, comme on va le voir, que les salaires réels aient augmenter sauf depuis peu sous l’effet du récent cycle de croissance.

Les administrations démocrates, notamment celles de Clinton et d’Obama, n’ont pas fait grand-chose là-dessus. Obama voulait réévaluer le seuil à 913$, mais, sachant la majorité républicaine du Congrès, l’a fait par voie administrative, ce qui a été retoqué par un tribunal qui pensait, un peu à raison, qu’un tel changement méritait de passer par la voie législative. Obama n’a pas poursuivi et arrivait de toute façon à la fin de son mandat. Il semble que l’administration Trump veuille faire passer ce seuil à 679$.

Toujours est-il que les États-Unis présentent désormais un fort contraste avec l’ensemble des autres grands pays de l’OCDE. Ce graphique, issue d’une excellente étude faite par l’ENS-Lyon, en atteste (attention, il s’agit cette fois des durées annuelles). Les États-Unis avaient la durée la plus courte de tous les pays de l’échantillon jusqu’à la mi-décennie 1970, justement le moment où le seuil des heures sup n’a plus été révisé ; il est désormais celui qui a la durée la plus longue. Les « long hours » qui font partie du paysage de l’entreprise américaine, et qu’on associe chez nous à une psyché très dure au travail des américains, ne sont rien d’autre que le résultat d’une législation sociale amoindrie et dont profitent davantage les entreprises que les travailleurs.

Qu’est-il à présent du salaire minimum issu des réglementations de 1938 ? eh bien, même chose : au fil du temps, et surtout à compter des années Reagan, on a laissé dans l’oubli cet instrument de politique des revenus. Le salaire minimum horaire représentait la moitié du salaire horaire en 1980 (resp. 6,57$ et 3,35$) ; il n’en fait en octobre 2019 qu’un peu moins du tiers (resp. 23,70$ et 7,25$). On sait que ce thème fait partie des débats politiques actuels aux États-Unis et que beaucoup d’états fédérés ont leur propre législation établissant un SMIC plus élevé. Voir à ce sujet le billet précédent de Vox-Fi : « Amazon met en place un salaire minimum à 15$ ».

Le graphique suivant, toujours de la base FRED à partir d’un calcul fait par Vox-Fi, fait figurer ainsi salaire horaire et SMIC en pouvoir d’achat. On voit le profil en toit d’usine du SMIC et l’écart croissant entre les deux.

On voit aussi les très faibles gains en pouvoir d’achat du salaire horaire sur la période considérée. En clair, travailler plus pour gagner plutôt moins. Et même, conjecture qu’il faudrait appuyer par quelques éléments de preuve, mais intrigante à tout le moins, c’est parce qu’on travaille plus qu’on arrive finalement à gagner moins.