Depuis au moins deux décennies, l’écart salarial entre les hommes et les femmes s’est constamment réduit en France. En gros, il était de 18 % en faveur des hommes en 1995 ; il s’est réduit à 13 %. Voici une bonne chose. Mais il ne s’agit là que d’une partie de l’histoire. Si l’on veut saisir la présence d’un biais jouant contre la rémunération des femmes, il faut ôter certains facteurs, tels que l’âge (les femmes peuvent être plus jeunes que les hommes en moyenne et donc moins bénéficier de l’avancée salariale selon l’âge); le niveau de qualification (les femmes peuvent avoir moins d’années éducation, ce qui est faux dans les jeunes générations); par l’expérience ou la durée sur le poste (les femmes peuvent avoir des carrières plus hachées ou plus de temps partiel, et donc souffrir du manque de continuité de leurs carrières), etc. Ces éléments explicatifs appellent en soi des réponses sociales (plus d’éducation, meilleure protection de la maternité, etc.), mais elles ne sont pas directement le signe de biais qui seraient de la responsabilité propre des entreprises. Quelle est donc le rôle propre des entreprises ?

 

C’est ce qu’ont cherché à creuser trois chercheurs, Marco Palladino, Alexandra Roulet et Mark Stabile, de l’INSEAD et de Sciences Po, dans un travail récent sur des données françaises (résumé ici dans vox-EU). Mais, pour qui entreprend cette recherche, il faut distinguer deux types de biais ou discrimination : un biais intra-firme et un biais inter-firme. Le premier est le signe qu’à conditions égales une entreprise rémunère mieux les hommes. Cela permet de répondre à la question : « Et si cette femme travaillant dans l’entreprise était un homme, combien toucherait-elle en plus ? ». Le second biais est le signe que les femmes sont plutôt cantonnées dans des entreprises qui paient peu, ceci pour répondre à la question : « Et si cette femme travaillait dans des entreprises qui emploient plutôt des hommes, combien toucherait-elle en plus ? ».

Un bon bilan figure dans le graphique ci-dessous. Il est mitigé. On y voit en trait noir l’évolution de l’écart en pourcent de la rémunération entre hommes et femmes. Et on voit en trait rouge l’évolution de la contribution des deux biais qu’on vient de mentionner, qui sont en quelque sorte de la responsabilité directe des entreprises. Bonne nouvelle si on peut dire, cet effet ne joue que pour quatre points de pourcentage sur les 13 points d’écart total, soit 30 %. Mais, mauvaise nouvelle, cette contribution reste constante, c’est-à-dire qu’elle était la même en 1995 quand l’écart était de 18 %. Les biais intra et inter sont eux aussi constants. Ce sont donc exclusivement les facteurs exogènes, au sens précédent, qui ont aidé à réduire l’écart dans les salaires selon le genre, pas forcément des efforts spécifiques des entreprises en ce sens.

Graphique 1 : Évolution de la contribution des entreprises dans l’écart salarial

 

Les auteurs étudient le phénomène sur une multiplicité d’autres angles et on renvoie ici à leur étude détaillée. Par exemple, y aurait-il un effet lié à la taille de l’entreprise ? Oui, indique le second graphique. L’écart est plus faible dans les TPE (de moins de 20 salariés), sans doute en raison d’un personnel plus homogène que dans une plus grande entreprise. Par contre, ce sont dans les plus grandes entreprises (plus de 250 salariés) que les discriminations spécifiques sont les plus faibles, à la fois en niveau et en proportion. En particulier, la discrimination intra (le « à travail égal salaire égal » au sein de l’entreprise) est le plus faible. Mais au total, encore un effort !

 

 

Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 22 décembre 2021.