La Grèce a besoin de réduire sa dette. Ce billet, repris en traduction du site ami Vox-EU du 28 février, soutient qu’au lieu d’allonger une fois de plus la durée de remboursement de sa dette ou de réduire ses taux d’intérêt, les dirigeants de la zone euro devraient se saisir de l’occasion pour mettre en œuvre des conversions de dette en actions (debt-for-equity swaps) qui encourageraient l’investissement étranger, accélèreraient les privatisations et donneraient un coup de fouet à l’économie grecque. Sous une forme différente, cette idée reprend celle développée déjà par Olivier Garnier (« Zone euro : Mutualiser par la détention transfrontalière du capital ») et citée dans un précédent billet de Vox-Fi.

La semaine dernière, les ministres des finances de l’Eurogroup ont décidé dans leur grande sagesse qu’il n’y aurait pas d’allègement ou de restructuration de la dette grecque d’ici la fin de l’été. Ils veulent à l’évidence éviter d’exciter les électeurs avant les élections européennes de mai. C’est regrettable, parce que cela ne fait que repousser l’inévitable et oblige la Troïka à user de bouts de ficelle pour combler le trou de financement du gouvernement grec.

De plus, ce qui figure en ce moment sur la table – étendre la durée des obligations de l’État grec détenues par la BCE et le MES (Mécanisme européen de stabilité) et réduire à nouveau leur taux d’intérêt – ne fera qu’une minuscule entaille à la dette du pays. Cela ne rendra pas plus rapides les privatisations ni encouragera l’investissement direct de l’étranger. Il n’y aura aucun impact sur la croissance.

Le problème vient de ce que les politiques grecs ne peuvent utiliser que la déflation et non la dévaluation de la monnaie pour ajuster les prix et les salaires. La déflation sonne comme un anathème chez les investisseurs de long terme et le très lent ajustement des prix relatifs rend difficile une reprise robuste. Dans les crises d’endettement public connues dans le passé, c’est la dévaluation qui a été utilisée pour stimuler la croissance et attirer l’investissement étranger. Mais ce n’est pas une option pour la Grèce.

Une proposition

Une autre approche, reposant sur un échange dette contre actions, réglerait ces problèmes d’un coup :

  • La BCE, le MES et l’Union européenne transformeraient une portion des prêts et obligations grecs qu’ils détiennent en une ligne de crédit unique.
  • Les investisseurs privés intéressés dans l’achat d’actifs détenus par l’État pourraient alors acheter des prêts ou des obligations, avec une valeur faciale de 1.000€ pour disons 500€.
  • Le gouvernement grec, de son côté, pourrait accepter ces obligations comme monnaie de paiement, pour un montant de disons 750$, lors d’enchères sur les actifs publics qu’ils mettraient à la vente.

Le gouvernement est content dans ce scénario parce que de fait il éteint sa dette avec une décote limitée à 25% (la différence entre les 1.000€ de valeur faciale et les 750€ de valeur que les investisseurs reçoivent). Les investisseurs sont contents parce qu’ils paient 500€ pour 750€ d’actifs nouvellement privatisés. La BCE devrait être contente également parce qu’elle a acheté son portefeuille d’obligations grecques avec une décote, limitant les pertes encourues sur cette transaction, et parce qu’elle sort rapidement.

Le MES quant à lui serait en mesure de liquider une partie de ses prêts à la Grèce sans supporter de pertes additionnelles parce qu’il a déjà baissé ses taux d’intérêt et ses commissions sur la plupart d’entre eux. Ces prêts ont déjà une juste valeur très basse, au plus de 50 centimes l’euro.

Inciter à des investissements nouveaux

En plus de permettre à la Grèce d’annuler une grande partie de sa dette actuelle et d’offrir une sortie digne aux institutions officielles, des échanges dettes contre actions donnent une incitation forte à des investissements nouveaux. Des échanges comme ceux qu’on propose ici, qui imposent des décotes aux deux parties de la transaction, permettraient à la Grèce et à l’UE d’utiliser ces dettes un peu comme une monnaie pour ajuster les prix relatifs et subventionner l’investissement dans l’économie grecque.

L’échange peut être aussi structuré de façon à attirer les gouvernements étrangers et les OGN. Par exemple, il pourrait être structuré comme un échange de dette contre de l’  « investissement vert ». Le gouvernement s’engagerait à vendre des terrains détenus par lui qui pourraient être utilisés comme fermes solaires par les fournisseurs d’électricité, par exemple allemands, et ainsi répondre aux besoins d’énergie propre du pays.

Ou encore, un échange dette contre environnement ou dette contre nature pourrait permettre à des groupes privés ou à des OGN d’acheter des terres détenues par l’État et à les mettre de côté pour la préservation, mais aussi pour de la production agricole soutenable à destination des revenus modestes.

Précédents

Des échanges dettes contre actions ont déjà été utilisés dans le passé.

  • A partir de 1987, le gouvernement chilien a transformé sa dette auprès des banques de dépôts via une conversion en actions qui ont financé ses investissements dans les forêts.
  • En 1988, le WWF (World Wildlife Fund) a acheté pour 400.000 $ de dette philippine à 51 centimes du dollar contre l’engagement du gouvernement d’investir un montant équivalent dans des projets de conservation.
  • En 1992, le gouvernement équatorien a échangé un peu de sa dette au profit de l’université d’Harvard pour financer les études entrepris par ses étudiants dans le pays.

Les échanges dette contre actions seraient plus faciles à mettre en œuvre en Grèce qu’ils l’ont été dans le contexte latino-américain des années 80. En Amérique latine, les gouvernements ont dû convertir de la dette détenue par des investisseurs étrangers en devises en une dette en monnaie locale avant de pouvoir l’échanger contre des actions libellées en monnaie locale. La banque centrale a dû émettre cette monnaie, ce qui a accru la masse monétaire et attisé les craintes d’inflation dans un environnement déjà inflationniste. Le risque d’inflation a ainsi dissuadé les autorités de poursuivre ces opérations de swap à grande échelle.

Un échange dette contre actions n’aurait pas ces complications dans le cas de la Grèce : il n’y a pas d’autres devises impliquées que l’euro. Il n’y aurait pas d’émission monétaire, puisque la dette serait directement échangée contre des actifs publics. Et si l’afflux d’investissement étranger devait stimuler la demande et les hausses de prix en Grèce, ce serait une bonne chose sachant l’arrière-plan déflationniste.

Il y avait aussi le souci en Amérique latine que l’échange consistant à annuler une partie de la dette ne servirait qu’à accroître le prix de marché de la dette résiduelle, laissant la charge effective inchangée. Ici, la Grèce a l’avantage que le gros de sa dette n’est pas activement négocié. Il est entre les mains de la BCE et autres entités officielles, qui peuvent le valoriser comme elles l’entendent.

Conclusions

La Grèce a besoin d’une réduction de sa dette. Elle l’obtiendra à la fin de l’été sinon avant. Mais plutôt que d’offrir un stupide autre allongement de la dette ou réduction du taux d’intérêt, l’Europe devrait se servir de l’occasion pour encourager l’investissement étranger. Les échanges contre actions sont la bonne méthode.