Après coûteuses pantalonnades, le gouvernement abandonne l’écotaxe. Et les écologistes, aujourd’hui sous l’envoûtement de Ségolène Royal qui leur fait miroiter les enjeux autrement importants de la loi sur la transition écologique, laissent faire.

La taxe sur les transporteurs routiers est une loi qui recevait au moment de son adoption (2009) un consensus général, trop rare pour ne pas être noté. On voulait légitimement réduire l’usage des routes nationales et départementales par les routiers, qui tendent à déserter les autoroutes évidemment plus coûteuses. Ce déport a un coût social élevé en termes de sécurité routière et de dommages à des routes moins préparées à recevoir un trafic intense de poids lourds. D’où la taxe. Elle a provoqué à juste raison l’émoi des industriels du secteur, qui a poussé en un premier temps le gouvernement à en réduire la portée, et, suite logique de cette émasculation, à la laisser tomber.

Si l’objectif est la réorientation du trafic et non la simple perception d’un impôt de plus, il fallait concevoir la taxe comme une taxe comportementale, destinée à changer les comportements et réorienter le trafic d’un système de voirie à un autre. C’est le type de taxe qui ne doit pas être jugée pérenne dans un budget, parce que si elle est suivie d’effet, c’est-à-dire si effectivement les camions empruntent davantage les autoroutes, son montant est destiné à diminuer.

Et pour que le public n’interprète pas cette taxe comme un impôt de plus, pénalisant un secteur économique déjà fragilisé, il fallait s’arranger certes pour accroître le coût d’usage des routes nationales par les camions, mais en réduisant en contrepartie celui des autoroutes. On aurait fait de la bonne politique environnementale et de sécurité publique, sans affecter les comptes d’exploitation des sociétés de transports.

Les autoroutes justement ! On voit la sottise de leur privatisation. Stratégiquement d’abord, puisqu’il s’agit d’un bien d’infrastructure, avec de nombreuses externalités, notamment pour le développement régional et, on le voit à présent, pour l’équilibre d’ensemble des systèmes de transport. Et parce qu’une autoroute reste une autoroute, c’est-à-dire un actif relativement simple à opérer, où une entité publique peut être parfaitement efficace, sans avoir à bâtir des grandes stratégies internationales. Financièrement surtout, quand on voit que 15 Md€ ont été remonté aux actionnaires privés depuis la privatisation, soit davantage que le montant perçu par l’État lors de la vente initiale. Une autoroute, c’est une rente, relativement certaine. Elle vaut capital. Les dividendes, s’ils restent perçus par l’État, sont donc bien commodes puisqu’ils apparaissent positivement dans le solde budgétaire.

Les négociations autour des contrats liant les opérateurs privés à la puissance publique ont été bâclées, et il n’y a pas toujours là la faute des politiques. Certes, ce sont eux qui ont tordu le bras aux experts évaluateurs pour qu’on retienne un taux d’actualisation de la rente très élevé[1] et pour rejeter la proposition très naturelle d’une clause de revoyure si jamais les taux d’intérêt devaient fortement baisser. Mais ce ne sont pas eux qui ont négocié le détail des contrats. On s’aperçoit par exemple que les dépenses d’équipement ne viennent pas s’imputer sur une dette accrue, à la charge des opérateurs, mais justifient une augmentation tarifaire, c’est-à-dire sont payés immédiatement par l’utilisateur. On s’aperçoit que l’automatisation des paiements aux péages, qui accroît fortement la productivité et donc réduit les coûts des opérateurs (en même temps que l’emploi !) est financé par hausse tarifaire. Il y a donc double gain pour l’opérateur : baisse des coûts d’exploitation et hausse des prix !  Et la privatisation, sous le corset de ces contrats bâclés, interdit que la puissance publique ait une main facile sur la grille tarifaire des autoroutes. Le gouvernement n’aurait pas facilement trouvé les moyens juridiques d’imposer une réduction tarifaire au bénéfice des seuls camions. À qui faut-il dire bravo sinon aux fonctionnaires de Bercy et de l’équipement ? Mais peut-être trouvait-on les mêmes ingénieurs du corps des ponts des deux côtés de la table de négociation !

Une remarque enfin sur les impôts verts. Ils ne sont pas essentiellement conçus pour rapporter des masses considérables d’argent pour l’État. Ils servent surtout à guider les ménages et les entreprises vers de bons comportements, lorsque le jeu naturel des forces économiques et du marché ne le fait pas ou au contraire pousse dans le mauvais sens. On parle d’impôts comportementaux. Comme on l’a dit, s’ils sont suivis d’effet, à savoir si le comportement rentre dans le rang, la base fiscale disparaît. À l’inverse, les autres impôts, essentiellement sur le revenu et la consommation, se doivent, nous dit la théorie fiscale, d’interférer le moins possible avec les comportements.

Il convient donc de promouvoir les impôts verts en substitution d’autres charges fiscales, et de le faire savoir. Outre le danger politique de la posture, aucune tactique ne justifie de créer dans l’esprit du public une association entre écologie et surcroît d’impôt. Ça, Ségolène Royal l’a compris, mais en tuant du même coup un projet fiscal intelligent.
 
[1] Pour nos lecteurs polars, le beta des sociétés autoroutières est de 0,53, ce qui donne un coût du capital de l’ordre de 3,5% à 4% aujourd’hui.