La France a la particularité, parmi les autres pays de l’OCDE, de compter d’assez nombreux défenseurs du protectionnisme, en particulier contre les produits des pays émergents.

C’est lié au mouvement de désindustrialisation de la France, qui se voit à de multiples indicateurs : taille de l’industrie (graphiques 1a et 1b) ; perte de parts de marché à l’exportation ; perte d’emplois industriels ; déficit extérieur pour les produits manufacturés.

Pourtant, l’analyse montre, nous semble-t-il de manière assez convaincante, que le protectionnisme (par exemple sous la forme de taxes sur les importations) aurait des effets très négatifs sur l’économie française :

  1. la sensibilité aux prix des importations de la France est très faible, ce qui révèle la très faible substituabilité de la production domestique et des importations ; taxer les importations aurait donc comme effet essentiel une perte de revenu réel (de pouvoir d’achat) avec la hausse du prix des importations ;
  2. les pertes de parts de marché de la France sont plus fortes nettement vis-à-vis des autres pays de la zone euro que vis-à-vis des pays émergents ; on ne peut évidemment pas taxer les produits européens importés sans déclencher une crise majeure en Europe ;
  3. les rétorsions que mettraient très probablement en place les pays émergents priveraient la France de la partie la plus dynamique de ses exportations ;
  4. la probabilité que les capacités de production délocalisées dans les pays émergents soient relocalisées dans un pays de taille moyenne et de croissance potentielle faible comme la France est très faible.

 

Pourquoi le protectionnisme serait une erreur en France : quatre arguments

 

Argument 1 : faible substituabilité de la production domestique aux importations

La mesure « phare » du protectionnisme est la taxation des importations. On peut avancer beaucoup d’arguments pour la défendre, outre le besoin de ré-industrialisation ; par exemple, corriger la faible protection sociale ou l’importance des émissions de CO2 dans les pays émergents. Or l’élasticité-prix (au taux de change effectif réel de la France) des importations en volume de la France est très faible : l’estimation économétrique conduit à 0.09 (une dépréciation réelle de 10 % de la France vis-à-vis de tous les pays réduit les importations de 0,9 %). La taxation des importations en France conduirait donc à une très faible baisse des importations en volume et à la hausse du prix à des importations.

Cette très faible élasticité-prix révèle la faible substituabilité entre les produits domestiques et les produits étrangers importés : les produits importés ne sont pas fabriqués en France, la capacité de production ayant été déplacée à l’étranger, ou bien les produits correspondants ayant été développés à l’étranger.

 

Argument 2 : la concurrence vient surtout des autres pays européens

Les pertes de parts de marché de la France résultent plus de la concurrence des autres pays européens que de la concurrence des pays émergents.
La performance à l’exportation de la France est mauvaise, on le sait, mais ceci se manifeste par une dégradation du commerce extérieur plus forte vis-à-vis de la zone euro (et de l’Allemagne) que vis-à-vis des pays émergents ; le problème de commerce extérieur de la France se situe surtout vis-à-vis de la zone euro (graphique 9d).
Il faudrait donc que la France se protège non pas tellement des produits des pays émergents mais surtout des produits des autres pays de la zone euro, ce qui est évidemment impossible.

 

Argument 3 : les rétorsions priveraient la France de la partie la plus dynamique de ses exportations.

Des taxes à l’importation sur les produits des pays émergents, conduiraient certainement  à des rétorsions commerciales de la part de ces pays. Même si les exportations de la France vers ces pays sont relativement de petite taille, il faut voir qu’il s’agit de la partie la plus dynamique des exportations, compte tenu de la croissance de ces pays. Se priver d’une partie de ces exportations est donc ridicule.

 

Argument 4 : les relocalisations en France sont très improbables

On peut mettre en avant l’argument suivant : même si à court terme la taxation des importations réduit très peu le volume des importations (voir plus haut), elle conduirait à moyen terme à une relocalisation d’activités en France en raison de l’avantage compétitif qu’elle implique pour la production locale. Nous ne croyons pas à cet argument. Les entreprises ne sont pas incitées à se localiser dans un pays de taille moyenne et de croissance potentielle très faible comme la France. Elles recherchent de grands marchés en croissance forte.
Le protectionnisme est une solution défensive au problème de désindustrialisation de la France. C’est de plus une solution inefficace, on l’a vu : absence de substituabilité des produits domestiques aux produits importés, concurrence venant surtout des autres pays européens, risque de rétorsions commerciales, caractère très peu probable des relocalisations. Il vaudrait mieux réfléchir à des solutions « offensives » et non défensives au problème de désindustrialisation : réforme fiscale, réorganisation de l’État et concentration des dépenses publiques sur celles qui soutiennent la croissance potentielle, soutien à la constitution de réseaux d’entreprises innovantes.