Et si le petit canard n’était pas celui qu’on pense ?
La semaine dernière n’a pas été très favorable à l’Europe, ni, et surtout, à l’euro. Les agences de notation ont encore frappé. La Hongrie, la Lettonie sont en quasi-faillite, les PIGS – dénomination anglaise élégante pour désigner le Portugal, l’Irlande et la Grèce – ont fait l’objet de dégradation de leur « rating », l’Espagne, la Belgique et l’Italie ont été placées sous surveillance avec impact négatif. La parité dollar/euro est revenue de 1,51 à 1,462 montrant un scepticisme des investisseurs sur la zone euro.
Cette réaction est-elle justifiée ?
Par construction, le marché a raison puisqu’il est en possession d’une quantité d’informations supérieure à celle en possession d’un blogueur du week-end ! Néanmoins, que nous disent les chiffres ? L’exemple de la Grèce est instructif : le spread de la dette à 10 ans contre Bund s’est tendu à 300 Bp environ. Cela signifie que les frais financiers de la Grèce seront unitairement doubles de ceux de l’Allemagne. Pire, les opérateurs anticipent une probabilité de défaut très élevée si l’on regarde les statistiques des agences pour des émetteurs présentant un spread de niveau identique. Les autres pays en difficulté de la zone Euro originels sont dans une situation, peu ou prou, semblable.
Les observateurs conviennent que nous assistons à une crise de la dette publique qui se substitue avec un an de retard à celle de l’endettement privé.
Précisément à la fin de 2008, le CDS de Lafarge, de Saint Gobain voire de Rhodia, pour ne prendre que des exemples français, ont atteint des seuils compris entre 500 et 700 Bp. La panique était aux portes de Paris. Depuis, les esprits se sont calmés, ces marges ont été divisées par trois environ… et les investisseurs de long terme ayant une faculté de recul suffisante ont gagné beaucoup d’argent !
N’assistons-nous pas au même phénomène en ce moment ? On peut penser que la surréaction est de retour et qu’il faut calmer les esprits ; le pire n’est pas encore certain et les fonds de pension et autres banques d’investissement pourraient, sauf événements sociaux majeurs, avoir des résultats records en 2010 à l’instar de ceux de 2009, pour les mêmes raisons d’intervention des banques centrales et des Etats.
Aussi, la question majeure qui vaut à court terme est de savoir si les « trous » budgétaires vont être comblés par Bruxelles (et donc les « bons » élèves européens) ou par le FMI.
Jean-Claude Junker, actuel président de l’Eurogroupe, a annoncé que l’Europe serait au rendez-vous-même s’il sera douloureux. Un propos rassurant… si on lui fait confiance, et les PIGS ne semblent donc pas encore en situation de cessation de paiement et donc de faire « exploser l’Euro, telle la navette Challenger dans sa course ascensionnelle ».
Un « détail » toutefois : comment croire que l’Allemagne, au-delà des coûts de sauvetage des PIGS, ne serait pas pénalisée par cette situation, alors que la lutte pour les financements longs sera d’une férocité historique ?
En d’autres termes, comment imaginer que les taux « sans risque » euro à long terme ne seront pas affectés ? Comment croire que, au-delà des politiques monétaires des banques centrales, et en raison d’un manque perçu de visibilité à moyen terme sur l’euro, l’écart des taux des emprunts Bund n’augmenteront pas par rapport à ceux des emprunts de référence émis par les Etats-Unis, le Japon, etc. ?
Comment alors, exclure d’emblée que les pressions de ses électeurs ne conduiraient jamais le gouvernement allemand à s’interroger sur une sortie de la zone euro ?
L’euro mourrait alors, non pas à cause de ses membres malades, mais, indirectement, par réflexe de survie de son corps sain ! Ce scénario catastrophe pour l’Europe n’a pas encore été évoqué, chacun tournant ses pensées vers les vilains petits canards… et pas vers le gentil canard de la nichée qui pourrait décider de voler seul vers d’autres cieux.
Certes, prenons garde aux prévisions auto-réalisatrices, réveillons-nous de ce cauchemar à long terme car le pire n’est jamais certain. Les fêtes approchent, réjouissons-nous : l’année prochaine est une autre année !
Dominique Chesneau