Et si les BRIC (l’Inde, notamment) étaient les pionniers d’une régulation financière tant attendue ?
Cette régulation financière que tout le monde appelle de ses vœux se trouve toujours freinée par un lobbying important : gouvernements, institutions financières, économistes, multinationales… et même par des débats tardifs sur les règles comptables à mettre en place pour assurer une meilleure transparence… Involontairement l’Inde, l’un des quatre pays de la zone BRIC, vient de faire un pas de géant contre les transactions off-shore et l’évasion fiscale.
Le 9 septembre 2010, la cour d’appel de Bombay a entériné le fait que la direction fiscale de l’Inde pouvait réclamer une imposition sur des transactions réalisées en dehors du pays. Ainsi Vodafone, société britannique, vient de perdre la bataille juridique qu’elle avait engagée contre les autorités fiscales indiennes dans le cas d’une transaction transfrontière. Le groupe de télécommunication devra donc payer un impôt sur la plus-value réalisée sur l’acquisition d’une société de télécommunication locale pour un montant pouvant atteindre 2 Md$, sur une transaction initiale de 11 Md$. Vodafone a acheté l’actif et le détient toujours. Ce qui est surprenant, c’est que la taxation s’applique à Vodafone, acheteur et non à Hutchison, vendeur.
Cette décision fait suite à des procédures judiciaires de trois ans ; elle devrait créer un précédent pour toute nouvelle acquisition ou fusion en Inde. Et peut-être ailleurs.
L’histoire : Vodafone a acheté 67 % (dont 15 % avec option de vente d’actionnaires minoritaires) Hutchison Essar une société basée à Hong-Kong Hutchison Telecom. Cette société, maintenant nommée Vodafone Essar, est devenue le troisième opérateur de télécommunication en Inde. Ce fut une des plus grosses opérations approuvée par les autorités de tutelle. Cette transaction fut réalisée par une société hollandaise contrôlée par Vodafone, localisée à l’Île Maurice, laquelle a payé 11 Md$ à une société basée dans les Îles Caïmans, contrôlée par Hutchison Whampoa, la société cédante, pour le compte d’une d’un autre groupe des Îles Cayman qui détenait le contrôle dans la société indienne.
Vodafone a argumenté que cette transaction était « off-shore» et donc non redevable d’une quelconque imposition. Le Département d’Etat a argumenté qu’il s’agissait d’un transfert d’actifs d’une société indienne, Huchison Essar et qu’à ce titre une taxation à la source aurait dû être payée. La Cour a estimé que la transaction a été volontairement organisée en dehors de l’Inde. Elle a également considéré que la taxation devait être payée au bon endroit pour un montant ni plus ni moins que celui qui aurait été dû pour ce type de transaction en Inde. En clair, la transaction devait être interprétée selon elle en intégrant le concept de « the right place at the right time », ce qui signifie que la substance économique de la transaction doit coïncider avec le lieu et la forme retenus pour cette même transaction. Or ici, la forme retenue est selon elle une structuration au travers de zones « off-shore », dont l’unique objet présumé est l’optimisation fiscale.
Vodafone a décidé d’aller en appel auprès de la Cour Suprême de Delhi. Entre-temps, un nouveau point de contentieux risque d’apparaître : la taxation s’applique-t-elle à la totalité de la transaction ou seulement aux 15 % détenus en Inde. De même, est-il légal qu’on taxe l’acheteur et non le vendeur (même si on comprend qu’il s’agit là d’une facilité pour l’administration fiscale : l’actif est toujours dans le pays d’accueil, c’est donc une taxation relativement facile à recouvrer).
Même si l’Inde est connue pour créer des conditions incertaines et difficiles pour les sociétés étrangères, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la vertu d’un tel jugement. N’y a-t-il pas façon simple de s’attaquer à l’évasion fiscale des transactions « off-shore », consistant à rappeler ce concept bien connu des comptables : « Substance over Form » ?