On considère généralement que les crises politiques sont la conséquence d’une crise économique. Un raisonnement souvent appliqué aux mouvements de protestation observés dans les pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. L’inverse est, cependant, tout aussi possible : les troubles politiques peuvent être la conséquence de la croissance économique, de l’amélioration du niveau de vie et de l’émergence d’une classe moyenne.

 

Tout a commencé avec des troubles politiques en Tunisie, où la révolte populaire a précipité la chute du président Ben Ali et de son régime. La « révolution de Jasmin » a ensuite contaminé les autres pays du monde arabo-musulman. D’abord, l’Egypte, où le président Moubarak a été évincé du pouvoir. En Algérie, en Iran, mais aussi au Yémen, la révolte est sévèrement réprimée par les régimes en place. La Libye est au bord de la guerre civile. Pour calmer les revendications, d’autres pays ont annoncé des réformes, voire des échéances électorales. C’est le cas du Maroc, de la Jordanie ou encore, du Bahreïn.

 

Contrairement à ce qui est souvent évoqué, ces pays sont dans une situation macroéconomique plutôt favorable. Ainsi, entre 2000 et 2010, le PIB tunisien a progressé de 4,1 % en moyenne chaque année ! C’est aussi le pays, juste avant le Maroc, où le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) a augmenté le plus durant les dix dernières années (+5,5%). En Egypte et au Maroc, le PIB a progressé en moyenne de 4,5 % chaque année entre 2000 et 2010. L’économie libyenne peut, de son côté, s’enorgueillir d’un taux de croissance supérieur à 10 % en 2010, le plus élevé de tous les pays du Maghreb !

 

Source : FMI

 

Par ailleurs, la plupart de ces pays ont vu leur taux de chômage régresser ces 10 dernières années. Le cas de l’Algérie est particulièrement frappant. Le taux de chômage y est passé de 29,5 % de la population active en 2000 à 10 % en 2010. Le chômage a également reculé (mais dans une moindre mesure) en Tunisie et au Maroc. Il a été stable en Egypte.

 

Un constat similaire peut être effectué sur la question de l’inflation. Dans les pays en crise politique, seule l’Egypte connaît une inflation structurelle à deux chiffres. En revanche, l’inflation est faible en Tunisie (3 % en moyenne par an). En Libye, les prix sont quant à eux quasiment stables.

 

Finalement, on est en droit de se poser la question suivante : la crise politique que connaissent tour à tour les pays arabes vient-elle d’une crise économique ou de l’amélioration de la situation économique qui générerait une « demande » de démocratie ?

 

Allons plus loin dans l’analyse, en regardant cette fois-ci l’indice de développement humain (IDH). Créé en 1990 par le Programme des nations unies pour le développement (PNUD), l’IDH se base sur trois critères : l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau de vie (PIB/hab en PPA). La Tunisie arrive en 2e position et l’Egypte en 3e position si l’on considère l’évolution de cet indicateur sur les 30 dernières années. De façon intéressante (et peut-être inquiétante pour son gouvernement), c’est la Chine qui est en 1ère position.

 

Source : PNUD

 

Observons ensuite les données démographiques. Parmi les pays où ont éclaté les révoltes populaires, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc se distinguent par des taux de fécondité très faibles, proches voire inférieurs à ceux de la France.

 

La transition démographique réalisée par la majorité des pays européens, à commencer par la France depuis le milieu du XVIIIe siècle, est à l’œuvre du Maghreb au Machrek depuis le milieu du XXe siècle. Ce phénomène constitue l’un des facteurs de la transition démocratique. Celle-ci s’opère par étapes : l’alphabétisation, le développement économique, la baisse de la fécondité et la « demande » de démocratie.

 

Source : CIA, Word Factbook

 

Ces chiffres expliquent pourquoi les indices de « misère économique » ou de « pauvreté » ne parviennent pas à prévoir les crises politiques. Ils tendent à montrer, au contraire, que c’est bien le développement économique qui entraîne des mutations politiques et institutionnelles. Néanmoins, ces analyses devraient être approfondies par des études portant notamment sur le rôle de l’accaparement par les dirigeants d’un pays d’une partie importante de la richesse créée.