Comme la lecture de l’avant-propos du Vernimmen 2011 a dû en convaincre les lecteurs, nous ne croyons pas à un redémarrage proche de l’inflation dans la zone euro. Certes, beaucoup de liquidités ont été injectées dans le système financier pour éviter un effondrement et continuent à l’être. Mais à côté de cela, le désendettement des ménages, des entreprises, des banques, des fonds d’investissement nous paraît intuitivement de nature à compenser ces injections de liquidités dont la raison première était justement de contrecarrer les effets de ce désendettement massif.

 

Certains arguent que l’inflation serait finalement une bonne façon de rembourser (en monnaie de singe) les dettes qui paraissent de plus en plus lourdes pour certains Etats, que cette alternative est moins désagréable que des guerres (ils ont certainement raison sur ce point). Prêtons-nous au jeu un instant : quel serait l’impact du retour de l’inflation sur les entreprises et leurs actionnaires ?

 

On entend les mêmes dire qu’il suffirait pour une entreprise de pouvoir répercuter à l’euro près toute hausse de ses prix de revient pour être protégée de l’inflation. Erreur ! Il n’y a rien de plus faux que cela !

 

Comme tout lecteur du Vernimmen le sait, la valeur d’une entreprise et de ses actions est plus fonction des flux de trésorerie disponibles que de ses résultats1.

 

Une entreprise dont tous les résultats seraient régulièrement absorbés par la variation de son besoin en fonds de roulement (BFR) et par des investissements ne vaudrait pas grand-chose. C’est toute la différence entre, par exemple Danone et certaines coopératives agricoles qui, d’un point de vue financier, ne valent pas beaucoup.
L’inflation va se traduire par un gonflement du BFR qui, dans la plupart des cas, sera supérieur à l’accroissement de l’excédent brut d’exploitation ou du résultat d’exploitation qu’elle induit.

 

Prenons ainsi une entreprise avec un chiffre d’affaires de 100, un résultat d’exploitation de 12, une dotation aux amortissements de 5, un BFR de 20 stable hors inflation et un impôt sur les sociétés de 33,3 %. Pour simplifier, elle n’est ni endettée, ni en croissance. Dans un contexte d’inflation faible, son flux de trésorerie d’exploitation est de :

 

 

 

Maintenant, supposons que l’inflation passe brutalement à 10 % et que notre entreprise soit capable de la répercuter à ses clients. Dans ce cas, on a alors :

 

 

 

 

D’où un flux moindre de 1,2 qui ne peut pas ne pas avoir une conséquence sur la valeur de l’entreprise.

 

Deuxièmement, l’inflation va créer une distorsion entre la dotation aux amortissements calculée sur des valeurs historiques (5) et l’investissement nécessaire pour maintenir l’outil industriel en l’état actuel 5 x 1,1 = 5,5, et on ne parle pas d’accroître la capacité de production. D’où un effet négatif dès lors que le taux de l’impôt sur les sociétés est différent de 0 % (cas très fréquent comme on le sait). L’entreprise ne peut en effet déduire qu’une charge (la dotation aux amortissements) de 5 alors que le maintien en l’état de son outil de production lui coûte, inflation aidant, 5,5.

 

Si la durée d’amortissement des immobilisations amortissables est de 15 ans, ce n’est que progressivement que la dotation aux amortissements sera revalorisée, à hauteur d’un quinzième par an. Mais elle sera de toute façon toujours en retard par rapport à l’inflation, pénalisant le flux de trésorerie disponible de l’entreprise par le biais de la fiscalité. Alors que, hors inflation, il était de :

 

 

 

 

Il est maintenant, avec inflation, de :

 

 

 

soit une baisse de 21 % alors que l’entreprise est parfaitement capable de répercuter l’inflation de ses coûts sur ses prix de vente. Qu’est-ce que cela serait si elle ne le pouvait pas !
1. Pour plus de détails, voir le chapitre 37 du Vernimmen 2011.