ÉCHANGES : Début juin 2012, l’Europe a approuvé l’application de nouvelles normes IFRS. Ainsi, la nouvelle norme IAS 19 sur les engagements sociaux devra être appliquée dès 2013. Anticipez-vous des difficultés de mise en œuvre pour les entreprises ?

PHILIPPE DANJOU : En application des règles de fonctionnement de l’international accounting standards board (IASB), si des difficultés avaient été anticipées, nous n’aurions pas émis cette norme. Au contraire, sur la base de nos travaux, nous pensons que la nouvelle norme simplifie considérablement le sujet. D’abord, la méthode dite du corridor, très complexe, disparaît. Ainsi, le nombre d’options comptables diminue. Surtout, la simplification apportée aux calculs contribue aussi à l’amélioration : il n’est désormais plus nécessaire de faire une hypothèse sur le rendement des actifs de couverture. Avec une hypothèse de moins, les résultats seront désormais plus facilement comparables d’une entreprise à l’autre. La préparation des notes explicatives a aussi été repensée, afin de les rendre plus utiles aux lecteurs des comptes.

 

L’autre modification applicable à partir du 1er janvier 2013 porte sur le « paquet consolidation » : les normes IFRS 10, 11 et 12, ainsi que les normes IAS 27 et IAS 28 révisées. On note que l’Europe exige seulement que ces normes soient appliquées à partir du 1er janvier 2014, alors que l’IASB les rend applicables en 2013. Que pensez-vous de cette différence ?

Bien sûr, j’aurais préféré que l’application en Europe soit alignée sur celle des autres pays. Je regrette que cela rende les comparaisons internationales plus difficiles. La plupart des pays qui appliquent les IFRS s’aligneront en effet en 2013. Mais cette difficulté de mise en place sera vite oubliée : l’essentiel est que la norme soit appliquée à l’avenir. Je note aussi que l’Union européenne rend possible l’application dès le 1er janvier 2013 ce qui permettra aux entreprises qui le souhaitent de rester en conformité avec les normes publiées par l’IASB, et ainsi d’éviter des difficultés avec la securities and exchange commission (SEC) si elles sont cotées sur le marché américain.

 

L’autre norme applicable en 2013 est IFRS 13, sur la définition de la juste valeur. Cette norme ne préconise pas plus de juste valeur dans les états financiers, mais harmonise sa définition. Vous attendez- vous à des difficultés pour sa mise en application en Europe ?

Vous avez raison de souligner qu’IFRS13 n’étend pas le champ d’application de la mesure à la juste valeur, mais a pour objet de mieux préciser cette notion et l’information qui doit accompagner sa mise en œuvre. Cette norme améliore aussi la comparabilité avec les principes comptables généralement admis aux États-Unis (US GAAP) et crée un level playing field entre les établissements financiers. Elle a aussi été demandée par de nombreux utilisateurs afin de résoudre les (légères) incohérences existant dans les normes actuelles. En effet, les normes qui font référence à la juste valeur ont été élaborées à des époques diverses, par des équipes différentes, et des incohérences ont été identifiées dans la façon dont la notion de juste valeur a pu être définie. Enfin, elle répond à l’épineuse question de la mesure de la juste valeur quand les marchés deviennent inactifs et elle fait partie de la réponse de l’IASB à la crise financière.

 

Merci pour ce point sur les évolutions attendues à court terme. À moyen terme, les utilisateurs s’attendent à d’importantes évolutions sur des sujets ayant parfois des impacts considérables sur les états financiers. En particulier, les contrats de location, la reconnaissance des revenus, les instruments financiers, et dans une moindre mesure les contrats d’assurance. Avant de rentrer dans le contenu de ces sujets, que pouvez-vous nous dire sur leur date d’application ? En particulier, la date du 1er janvier 2015 vous paraît-elle toujours d’actualité ?

La norme sur la reconnaissance des revenus est pratiquement achevée et une date d’application en 2015 reste tout à fait envisageable. Mais les utilisateurs ont exprimé le souhait d’une application groupée des textes qui ont des interfaces. Par ailleurs, les utilisateurs demandent un délai suffisant entre la date de publication de ces normes à fort impact et leur date d’application, afin de pouvoir s’y préparer.

Nous devrons donc décider des dates d’application en fonction de la date de publication du dernier texte, à savoir probablement mi-2013 pour les contrats de location et les revenus. Il n’est pas impensable que leur date d’application soit reportée à 2016. Nous visons toujours 2015 pour le paquet « instruments financiers ».

 

Le projet le plus avancé est donc celui de la reconnaissance des revenus. Ce projet a fait l’objet de présentations dans cette revue. Par rapport au projet, quelles sont les grandes évolutions ?

L’IASB continue à clarifier de nombreux points, en particulier pour les entreprises qui proposent des produits ou des services étroitement liés. Ainsi, lorsqu’il existe un réel service d’intégration de différents produits ou services, comme dans le cas de certains contrats de construction, on ne doit reconnaître qu’une obligation unique (et donc une marge unique). Par ailleurs, il est vraisemblable que nous modifiions la proposition de constituer les provisions pour contrats onéreux au niveau de chaque obligation de performance. L’IASB a pris en compte les différents commentaires reçus et le projet est aujourd’hui mieux accepté par la plupart des acteurs.

 

Où en est-on sur le projet de norme sur les contrats de location ? D’abord, est-ce que la disparition de la distinction entre les contrats de location simple et les contrats de location financière est bien confirmée ?

Oui, ce principe est confirmé et tous les contrats d’une durée supérieure à un an seront inscrits au bilan. Bien que certaines entreprises n’en soient pas satisfaites, l’IASB est convaincu que cela contribuera à l’amélioration de l’information financière. Aujourd’hui, les agences de notation et les analystes retraitent toutes les charges de loyers pour ajuster la dette : ce qui n’a pas été comptabilisé par les entreprises est retraité par les analystes. N’ayant pas accès à l’information à la source, ils procèdent à des calculs approximatifs – chacun selon sa propre méthode – souvent erronés. Toute la chaîne de l’information financière y gagnera quand ces travaux seront effectués directement par les entreprises, sous la supervision de leurs auditeurs.

 

Comment la nouvelle norme va-telle s’appliquer ? Son principe consiste à reconnaître un actif (le droit à louer) et un passif (l’obligation de payer les loyers) égaux lors de la signature du contrat de location. Mais comment cet actif s’amortit-il ? Doit-on l’amortir de façon linéaire, par analogie avec l’amortissement des autres droits de l’entreprise, ou faut-il l’amortir de façon actuarielle, comme le passif auquel il se rattache ?

L’amortissement linéaire présente l’avantage de la simplicité pour les calculs, mais conduit l’entreprise à présenter un actif et un passif légèrement différents pendant la durée du bail, ce qui est contre-intuitif, et conduit dans certains cas à « charger » le compte de résultat au début de la période de location et à l’alléger vers la fin. Différentes autres méthodes ont été soumises à consultation. In fine, lors du joint board meeting de juin 2012, le financial accounting standards board (FASB) et l’IASB ont décidé que les contrats de location qui portent sur une durée relativement courte en proportion de la vie utile de l’actif loué (typiquement, les biens immobiliers) seront comptabilisés de façon linéaire sur la durée du contrat ; a contrario, les contrats qui impliquent la consommation d’une part importante de la valeur ou de la durée de vie du bien seront traités comme des locations financières, donc de façon actuarielle.

 

IFRS 3 et IFRS 8 font l’objet d’une revue post-implémentation. Quelles en sont les conclusions ?

La revue d’IFRS 8 a débuté, et le board va publier prochainement un appel à commentaires auprès des entreprises, des utilisateurs et des régulateurs. IFRS 3 ne commencera que vers la fin de cette année.

 

Enfin, à plus long terme, où en est-on de l’adoption des IFRS aux États-Unis ?

La décision est toujours à l’étude par la SEC. Mais les États-Unis sont dans une année électorale, peu propice à la prise de grandes décisions.

 

Article publié dans Echanges no 301 paru en septembre 2012, p. 34-35