Facture électronique : l’État ne peut pas d’un coup remettre tout en cause
Dans sa nouvelle configuration, le Portail public de facturation n’offrira plus de service gratuit et semble perdre une part de son rôle pour la statistique publique. Une tribune de François Meunier, économiste et professeur affilié Ensae, ancien Président de l’Association des directeurs financiers et contrôleurs de gestion (DFCG).
La facturation électronique (FE) se généralise dans le monde. Pour la France, elle est déjà obligatoire pour tous les contrats de vente réalisés avec l’État au sens large. Elle le sera à compter de 2026 pour les grandes entreprises et les PMI, et une année plus tard pour les PME. Le projet répond à une directive européenne, de sorte qu’à terme c’est l’ensemble des biens et services de l’Union qui s’échangeront sous ce format.
Il est dommage que l’État, par une annonce subreptice, semble vouloir changer le modèle initialement prévu. De deux façons : un, il ne sera plus possible pour une entreprise de passer par l’opérateur public, de sorte que, tenue de traiter avec un opérateur privé, elle devra payer des frais de service pour envoyer des factures et en recevoir. Il est compréhensible que la CPME proteste à cet effet, car les PME seront les plus désavantagées. Deux, Bercy semble ne plus vouloir recevoir des données de facture individualisées, mais sous format agrégé par les opérateurs privés. Ce serait une très importante opportunité qui échapperait à la statistique publique et donc à la conduite de la politique économique. Voyons pourquoi.
Le projet de FE est avant tout d’origine fiscale : il s’agit de réduire l’importante fraude à la TVA estimée récemment entre 20 à 26 Md€ l’an selon l’INSEE, soit environ 13 % de la collecte globale. Pour autant, la FE reste une facture, c’est-à-dire un document légal attestant d’un contrat de vente et d’une demande de paiement que doit honorer l’acheteur, avec les mêmes informations que précédemment. Les flux interentreprises sont l’objet spécifique de la FE, appelé aussi e-invoicing. Mais les entreprises vendent également à des entités non soumises à la TVA, essentiellement les particuliers, sans pour autant leur délivrer toujours une facture, a fortiori électronique (qui doit être authentifiée numériquement par les deux parties). Les entreprises sont donc tenues par la loi de reporter les transactions avec les particuliers dans ce qui est appelé e-reporting.
Une réforme à l’avantage des entreprises
Voici, pour une fois, un projet fiscal qui répond à l’intérêt naturel des entreprises. De fait, les grandes entreprises l’ont déjà largement accepté : les factures papier ou pdf sont plus coûteuses et la numérisation des données de gestion permet leur entrée de façon fluide dans les systèmes d’information. L’envoi électronique marque aussi une date de départ objective et opposable pour le comptage du délai de paiement, dont on peut attendre une réduction des abus. La nature européenne du projet donne un levier supplémentaire à l’exportation. La réforme facilite aussi la traçabilité des produits acquis par l’entreprise puisque le suivi de la chaine amont des fourniture dispose d’un support numérique et peut être révélé par le fournisseur à son client. On voit alors le progrès qui peut être fait dans le domaine ESG pour surveiller la qualité environnementale des biens et services, dont leurs émissions carbone.
Pour ce faire, les entreprises remettent leurs factures entrantes et sortantes à des opérateurs mis en concurrence, les PDP ou plateformes de dématérialisation partenaires. L’administration dispose elle-même d’un opérateur, normalement ouvert à tous et gratuit.
C’est ce principe d’ouverture qui semble être mis en cause, sans qu’on en sache les raisons. On pressent une fois de plus des difficultés techniques menaçant de retarder une nouvelle fois le projet. Les PDP, dont on présume qu’elles ont été plus diligentes, deviendraient alors les intermédiaires incontournables des entreprises.
Il s’agirait d’un coût non prévu pour les PME et ETI qui n’acceptaient le coût administratif qu’entrainait le passage à la FE qu’en raison de la gratuité du service.
L’importance du projet pour la statistique publique
Il faut souligner l’importance, dans le projet initial, de ce que la FE apportait à l’administration et à l’INSEE en particulier : une base de données faisant figurer l’acheteur, le vendeur (et donc leurs secteurs d’activité), le bien ou service concerné par nature économique et son prix ; et par agrégation, les ventes et les achats de toutes les entreprises soumises à TVA. Ceci donc avec en général un mois de délai.
Sur une telle base, des indicateurs d’activité économique à un niveau très fin peuvent être élaborés pour suivre pas à pas la conjoncture : indice d’activité et de ventes, l’investissement et stocks, prix à la production, etc. La comptabilité nationale subit alors une révolution grâce à ce suivi plus fin des échanges des biens et services. Disposant du prix du bien dans les factures, il deviendra possible d’affiner considérablement les indices de prix pour les différents agrégats de biens et par conséquent d’améliorer le calcule du PIB et de ses composantes.
Données agrégées
Or, il semble prévu qu’au lieu de recevoir les données individuelles de facturation, la base centrale de la DGIE ne recevra que des données agrégées, plus difficilement utilisables.
On comprend le souci de l’administration de tenir ses délais. Mais ce ne peut pas être au prix d’une dégradation du service aux entreprises par hausse de son prix et de la capacité de pilotage de l’activité économique. D’autres pays font cette même réforme et s’en sortent bien. Le Chili par exemple a introduit il y a quelques années la FE, selon le modèle que Bercy tente de répliquer exactement. Et les choses y fonctionnent parfaitement. La France, en maintenant l’objectif initial, se mettrait simplement au niveau atteint par le Chili.
Il importe que Bercy donne plus de détails sur le pourquoi de la révision du projet.