Lors des crises financières qui se sont succédé en 1987, 1991, 2000 et 2008 vous avez été interpellés par les dommages causés par l’utilisation de certains instruments financiers dérivés ou la titrisation.

Ces mécanismes sont- ils nocifs ou apportent- ils un réel service aux entreprises industrielles et de service? Faut-ils les réglementer sévèrement ?

J’ai tenté de répondre à ces questions lors d’une recherche que j’ai menée récemment en Master 2 d’Économie.

J’ai examiné l’historique de ces produits, l’avis des économistes qui se sont particulièrement intéressé aux crises, ceux de la Régulation, l’avis d’un praticien, ancien trader, dirigeant de banque et maintenant régulateur, et j’ai observé l’utilité effective de ces instruments pour les entreprises non financières françaises.

 

Les principaux enseignements de cette étude – dont vous trouverez le détail en cliquant ici – sont les suivants :

Les produits financiers dérivés ont été utilisés dès l’antiquité ; ils  se sont développés à partir du 17ème siècle à Anvers, du 18ème  à Londres et à Paris, et du 19ème à Chicago.

Ils ont d’abord servi à couvrir les risques liés aux mauvaises récoltes et aux aléas du commerce, et à financer ces opérations, mais aussi à spéculer sur les variations de cours des denrées ou des actions.

Dès le 16ème siècle les autorités politiques ont tenté d’en limiter l’usage en interdisant certaines opérations ou en limitant le nombre d’acteurs autorisés à  les effectuer. Ces réglementations n’ont pas empêché l’apparition de marchés parallèles, de gré à gré.

Les produits dérivés concernant les devises et les taux d’intérêt ne sont apparus que dans les années 1970, en réaction à la fluctuation des taux de change des devises.

 

La titrisation de crédits hypothécaires, pratiquée aux USA dès les années 1960, s’est développée grâce à l’invention, dans les années 1970, du regroupement des actifs en tranches  de risques croissants, puis grâce à la suppression en 1999  du « Glass Steagall Act » de 1935, qui avait séparé les activités de banques commerciales et d’investissement.

À partir de 2008, la titrisation de créances immobilières de mauvaise qualité – dites subprime – a entrainé la récession économique connue de tous.

 

Quel est le point de vue à ce sujet des économistes de la Régulation?

Selon eux, ce qui est en cause c’est le régime d’accumulation tiré par la Finance qui s’est développé à partir des années 1980 aux USA : La prééminence des cours bousiers a entrainé la volatilité des cours boursiers et des salaires, donc de la consommation.

Pour ces économistes les produits dérivés sont des instruments de spéculation qui précipitent la chute des cours, et la titrisation doit être bannie car à l’origine de la crise des subprime.

Ils préconisent des solutions radicales, par exemple : limiter l’effet de levier, interdire les transactions de gré à gré, séparer les activités bancaires commerciales et d’investissement, limiter les rémunérations, et, de façon générale, remettre en cause la financiarisation de l’économie.

 

Quel est l’avis à ce sujet d’un praticien qui est maintenant régulateur, Jean François Lepetit ?

Pour lui, la gestion financière d’une entreprise industrielle ou de service ne consiste pas à spéculer : le problème n’est pas l’existence des produits dérivés ou de la titrisation, mais l’utilisation qui en est faite par les spéculateurs.

Il faut distinguer le trader pour compte de tiers, qui offre les services nécessaires aux entreprises non financières, du spéculateur, trader pour compte propre, qui emprunte des capitaux pour jouer sur la valeur future des produits qu’il achète. Le trader pour compte propre, au lieu de réguler le marché, amplifie les variations de cours, en « chevauchant la tendance ».

Il pointe le rôle difficile des régulateurs, qui tentent de réglementer les banques mais aussi les activités de marché (¾ des crédits accordés aux USA), en prenant de vitesse la créativité des financiers, et en évitant de pénaliser les acteurs de leur périmètre de compétence.

Il souligne qu’une crise financière ne devient systémique que si les marchés s’effondrent et deviennent illiquides, et si, du fait de l’interconnexion des marchés, la crise touche un grand nombre de banques.

Il constate qu’un certain nombre de réglementations ont été ou sont en train d’être mises en place des deux côtés de l’Atlantique, par exemple :

  • Dodd Frank Act de 2010 : limitation des activités spéculatives des banques.
  • Stress tests des banqu es, Exigence de fonds propres et de liquidité (Bale3)
  • European Market and Infrastructure Regulation de 2012, qui concerne les produits dérivés   (idem aux USA).
  • Interdiction, en 2012, des CDS « nus » (achat de CDS sans posséder le titre concerné).

 

Les instruments financiers dérivés et de la titrisation sont-ils utiles aux  entreprises non financières françaises?

Selon l’enquête de l’AFTE de 2011, 90% des entreprises non financières concernées utilisent des couvertures de change et de taux.

Selon le bulletin de la banque de France du 4ème trimestre 2013, seulement 10,9 Milliards de créances commerciales ont été cédés en une année par les entreprises françaises, ainsi que 1 Milliard de prêts aux entreprises.

 

On constate donc que les instruments financiers dérivés et la titrisation sont utiles aux entreprises non financières françaises et aux organismes financiers qui leur procurent couvertures et financements, mais que l’utilisation de ces mêmes instruments pour spéculer peut avoir des conséquences désastreuses sur l’économie en général, et les entreprises non financières en particulier.

Les réglementations qui se mettent en place aux USA ou en Europe visent à limiter la spéculation et à éviter les crises systémiques, mais ne peuvent garantir qu’elles ne se reproduiront pas : nous vivons dans un monde où les liquidités abondent mais qui s’avère de plus en plus instable.