Signe d’un essor nouveau du financement des collectivités publiques : l’emprunt obligataire de 610 M€ à échéance 10 ans, que viennent de lancer conjointement un groupe de 44 collectivités – 4 régions, 9 départements, 12 communautés d’agglomération, 8 communautés urbaines, 10 communes et un syndicat mixte. Il porte un taux d’intérêt négocié à 4,30%.

Qu’est-ce que la dette des collectivités de 151 Md€ au regard des 1 312 Md€ de l’Etat (chiffres Insee, fin T2 2012) ? Certains diront que ce n’est qu’environ 5 fois la capacité mensuelle d’autofinancement des collectivités locales (30 milliards), mais avec une variabilité très grande entre collectivités. Mais, dans les faits, cette dette doit plutôt représenter entre 25 ans et 50 ans de blocage réaliste d’investissement (soit environ 10 % à 20 % du budget annuel). Comment les collectivités peuvent-elles rentabiliser tous les ronds-points, les tramways, les centres culturels, les médiathèques ou autres investissements de «confort» ?

Mais revenons un peu sur l’histoire des collectivités locales…

La révolution a défini le rôle de chacun : à l’État l’infrastructure, aux communes la maintenance de ces infrastructures (loi de 1789). Après Napoléon, de nombreuses lois vont élargir les responsabilités des communes  : 1822 sur le financement communal des parties communales et des routes, 1831 sur le rétablissement de l’élection des conseils municipaux, 1836 loi Thiers sur les chemins vicinaux, 1837 amodiation des communes et des terres vaines mais aussi affectation des recettes aux travaux municipaux, puis 1838 avec la reconnaissance de la personnalité morale des départements, ce qui permet la participation des départements aux investissements publics grâce à leur capacité à emprunter auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) ; et 1884, la loi républicaine sur la compétence des communes.

Dans le cadre du financement des communes, il est nécessaire de distinguer trois grandes phases avant la guerre de 1914 :

–          La période de l’Ancien régime permet l’émission d’obligations notariées et son financement par des riches particuliers. En réalité ce ne sont pas «facialement» des obligations car l’Église interdit le taux d’intérêt et l’usure, mais des prêts perpétuels contre le paiement d’un loyer. Dans les faits, la duration de ces prêts sera d’environ 15 ans. Voir le Blog du 4 mars 2012 sur ces emprunts très particuliers.

–          Après la Révolution et avant 1860, les émissions obligataires se raréfient au profit d’un financement assuré par la Caisse des Dépôts et les receveurs généraux

–          Après 1860, la concurrence entre la CDC et le Crédit Foncier de France (CFF) va apporter liquidités et financement obligataire aux communes, renforcés par l’admission des collectivités locales au bénéfice des avances de la Banque de France. La CDC sera le grand prêteur rural alors que la CFF va participer à la spéculation immobilière massive liée à l’«haussmanisation» parisienne.

Après 1914-1918, lancement du plan d’équipements nationaux à compter de 1923 : chemins vicinaux, adduction d’eau, électrification des campagnes. Mais la crise des marchés financiers de 1924 va voir le CFF se retirer progressivement de ces financements au moment où le marché obligataire subit une hausse des taux d’intérêt  qui entraîne une raréfaction des ressources pour les communes. Les périodes récentes vont donner une nouvelle impulsion aux communes : 1982-1988, les années post décentralisation avec le transfert de ressources, 1988-1994 : féroce concurrence avec l’entrée des banques et assureurs sur le financement, puis 1994-2000 avec Angoulême (et ses 56 banques créancières) et les premières négociations entre créancier et préteur, et ensuite 2000-2008, le financement à bon compte des communes avec les baisse des taux d’intérêt long terme.

La ville d’Angoulême est devenue le symbole du risque porté par un financement excessif. Les créanciers ont compris qu’il n’y avait pas de garantie d’Etat sur ces financements, d’où la nécessité de renégocier les durées de crédit et les taux. De même, les derniers exemples de financement un peu exotiques ont démontré une asymétrie des compétences et des connaissances financières entre les collectivités locales et les banquiers. Avec ses 36 000 communes et 16 000 structures intercommunales, ce n’est plus le bon sens paysan du maire qui prime quand la majorité des conseils municipaux est constitué d’instituteurs, de retraités, de professions libérales ou de fonctionnaires sans aucune compétence financière.

 

 

Alors quelle est la problématique actuelle du financement des collectivités ? Tout d’abord, la durée des prêts est longue (15, 20 ou 30 ans) alors que la ressource longue supérieure à 10 ans est rare, d’où un effet naturel sur les taux (y compris la prime de risque). Ensuite, problématique des exigences Bâle 2 (solvabilité) ou Bâle 3 (solvabilité et liquidité) : prêt sans contrepartie de dépôts des collectivités, et donc la soumission des banques aux règles prudentielles est un frein énorme au financement. Des solutions existent : les enveloppes de la CDC en direct, les émissions obligataires groupées on non, les placements privés, les financements intermédiés par les assureurs, mutuelles, caisses de retraite – qui ont beaucoup d’argent à placer sur le long terme (les banques ne jouant alors qu’un rôle d’intermédiaire) – ou les fonds commun de titrisation – qui permettent à plusieurs investisseurs de prendre des tickets et donc de réduire le niveau des prêts tout en ayant un portefeuille diversifié.

Et demain ? Certains pensent à une joint-venture avec la Banque Poste et la CDC pour financer les activités ou à une bancarisation des collectivités locales comme dans d’autres pays européens avec un placement de ressources pour lever des fonds.

Alors, puisque les difficultés actuelles de financement pourraient être contournées par de nouveaux montages financiers, oui il va falloir vraiment craindre l’explosion de la dette des collectivités locales et leur explosion.

Certains bien-pensants vous diront que cela est budgétairement contenu par la fameuse règle d‘or qui s’applique aux collectivités : elles ne peuvent emprunter que pour investir et non pour couvrir les dépenses de fonctionnement ; avec une moyenne macroéconomique du poids des frais financiers dans les budgets des collectivités à environ 3 %, quel est le risque puisque le remboursement des intérêts est pratiquement garanti sauf cas extrême? Ces prêts auront alors des caractéristiques de prêts perpétuels jusqu’à l’asphyxie du système.

Et que dire du projet dans la loi de finance 2013 (cf. compte rendu du Conseil des ministres du 5 septembre 2012) qui rend possible pour les élus des régions d’investir (probablement à hauteur significative) dans l’économie sociale et solidaire des régions (coopératives, fondations, mutuelles, entreprises adoptant des pratiques socialement exemplaires et innovantes) : excellentes opportunités vers le soutien d’acteurs locaux qui n’arrivent pas trouver les financements ou les prêts relais auprès des banques, mais également porte ouverte vers les erreurs d’investissement, vers le conflit d’intérêt, vers le soutien abusif de certaines activités pour des raisons électoralistes, etc. La nouvelle banque, la BPI, en la voix de Jean Pierre Jouyet, a indiqué qu’elle ne soutiendrait pas les « canards boiteux » ; une très vive réaction des élus politiques s’en est suivie avec un aussi vif retour arrière de Jean Pierre Jouyet. Preuve s’il en est que seule une vigilance accrue et/ou une réglementation draconienne, avec de possibles mises en cause de responsabilité personnelle, éviteront des dérives prévisibles.

L’exemple des autres pays est criant de vérité : que ce soit l’Espagne, l’Autriche ou l’Allemagne, toutes les banques régionalesimpliquées dans le financement des collectivités locales (par exemple les caisses d’épargne en Espagne) sont dans un état financier déplorable. L’expérience doit servir, la bancarisation des collectivités locales pourrait être un chèque en blanc donné à l’incompétence financière et à la satisfaction électoraliste d’un nombre certain d’élus.