Trouver des moyens justes et efficaces de payer les dirigeants est un vrai problème, tant dans le secteur privé que le secteur public. De nombreuses entreprises et, de plus en plus, les gouvernements mettent au point des plans de rémunération complexes destinés à pousser leurs dirigeants à mieux performer. Certains pensent que la réponse est une rémunération basée sur la performance individuelle annuelle. C’est hautement discutable, particulièrement dans le secteur public.

Bien sûr, le niveau général de rémunération est important : il affecte le choix de la profession et de l’emploi. La promotion repose également sur le mérite, de sorte que les meilleures personnes ont davantage de responsabilités et la rémunération qui va avec. Une évaluation prospective rigoureuse est essentielle aussi. Mais cela diffère d’une évaluation annuelle basée sur le passé, consistant à voir si vos performances sont assez bonnes pour que vous méritiez un bonus.

Dans une étude commandée par le gouvernement britannique, Will Hutton a récemment préconisé un système élaboré de rémunération liée aux performances pour les hauts fonctionnaires. Dans le système de M. Hutton, le meilleur toucherait plus et le moins performant y perdrait. Pourtant, pour les activités nécessitant un travail d’équipe, comme ceux d’un ministère ou d’une grande entreprise, on n’arrive pas à prouver que des primes sur base individuelle sont efficaces. A l’inverse, il y a beaucoup de preuves contre.

En particulier, un tel réglage annuel s’accompagne d’au moins quatre problèmes. Le premier est la démoralisation. Il est agréable d’être reconnu, mais énormément décourageant de ne pas l’être. La recherche montre qu’une évaluation faite par des évaluateurs différents conduit à distinguer des personnes différentes, de sorte qu’il n’est pas rare que cela diffuse un sentiment amer d’injustice. Tout le monde sait qu’un système de promotion est essentiel, mais qu’une rémunération annuelle liée à la performance annuelle, mettant les collègues dans des catégories, introduit des tensions inutiles. La coopération et non la concurrence doit être la mentalité dominante.

Sans rémunération liée aux performances, les principaux motifs de bien travailler sont le désir d’être respecté et la fierté dans son travail. Les partisans de la rémunération liée aux performances font l’hypothèse que ces motivations ne seront pas affectées si on en ajoute une troisième, la quête d’une rémunération supplémentaire. C’est faux. Les études psychologiques montrent qu’offrir des récompenses à court terme distrait les gens. Elles indiquent que les récompenses à court terme sont efficaces pour le travail de routine, pas pour la résolution de problèmes ; ceux qui sont payés spécifiquement pour faire une chose bien font moins bien en réalité que ceux qu’on ne paie pas.

D’autres expériences montrent que payer des gens pour faire quelque chose réduit en pratique leurs autres motifs de le faire, l’exemple le plus célèbre étant le don de sang, qui diminue si un paiement est en cause. Il est difficile pour certains économistes de comprendre que la nature humaine est plus complexe que leurs modèles. La plupart des gens aiment sentir qu’ils donnent d’eux-mêmes et qu’ils donnent plus que ce qui est attendu.

Même dans le secteur privé, on trouve beaucoup de sociétés très prospères, qui ne recourent pas du tout à des incitations individuelles ; leur nombre va croissant. Par exemple, Zappos, le plus grand distributeur en ligne de chaussures, fonctionne entièrement sur un code en dix points qui décrit la façon dont vous devez vous comporter afin d’avoir des clients et des collègues satisfaits. Les candidats sont interrogés pour voir s’ils acceptent le code, et ceux qui passent leur période de probation se voient offrir 2 000 $ s’ils choisissent de quitter l’entreprise. Très peu le font. La société reçoit plus de demandes par place sollicitée que Harvard ; elle a récemment été achetée par Amazon pour plus de 1 Md$.

Certaines entreprises ont remplacé leurs plans d’incitations financières par des schémas reposant sur la performance du groupe ou de l’ensemble de l’organisation. Dans un livre récent, Shared Capitalism at Work, les auteurs montrent que plus d’un tiers des travailleurs américains participent déjà à ce type de plans de participation aux bénéfices, et qu’on observe un lien avec un plus grand engagement des employés et une meilleure performance.

La rémunération à la performance individuelle est particulièrement problématique dans le secteur public. Voulons-nous des fonctionnaires subalternes, regardant par-dessus leur épaule pour une approbation à court terme, ou des gens qui recherchent avec passion l’intérêt public, même lorsque cela implique de dire des vérités qui dérangent ?

Des propositions telles que celles de M. Hutton pourraient aussi nuire au recrutement de la fonction publique. Il pense que ça l’améliorerait, mais j’en doute. Le niveau général de rémunération est bien sûr essentiel, mais il en va de même de la bonne mentalité. Les personnes de qualité rejoindront le service public si elles peuvent s’attendre à avoir des responsabilités et à s’identifier avec le département dans lequel elles travaillent.

Il en va largement de même dans les affaires. La façon d’encourager les bonnes performances dans les secteurs public et privé est de motiver et d’évaluer correctement les gens, sans créer des moutons et des chèvres. Les consultants peuvent aimer cela, mais pour le reste d’entre nous, ces ajustements financiers feront peu de bien.
Richard Layard

L’auteur est le fondateur et directeur du Centre for Economic Performance à la London School of Economics. Repris du Financial Times du 17 avril 2011.