En cette période de mondial de l’automobile à Paris, nos constructeurs nationaux vont mal, ils le disent et nous ne pouvons que le constater. Secteur subventionné depuis des années par la prime à la casse, la réalité économique de cette industrie est maintenant criante de vérité.

PSA doit fermer son usine emblématique d’Aulnay, et Renault continue de réduire ses effectifs en France par l’externalisation de sa production à l’étranger depuis des années. Il faut noter que seulement 25 % de la production de Renault est encore en France contre 40 % pour Peugeot. Depuis longtemps, Renault a pris une position agressive de déplacement de sa production vers des pays à bas coûts (Roumanie, Turquie, Maroc). Étrange révolution culturelle, pour une société anciennement nationalisée, avec un fort ancrage syndical ! Probablement que la culture familiale et protestante de Peugeot s’est difficilement accommodée d’une politique industrielle « déshumanisée », contraire à l’esprit d’une longue tradition de production locale, associée à de vieux réflexes paternalistes. Dramatique erreur quand on sait, par exemple, qu’il existe un écart de prix de revient d’environ 1 000 € entre une production en Turquie et la même production en France pour la production d’une Clio « de base » : salaires et charges font la différence… Mais également la qualité, qui est meilleure dans ces usines hautement robotisées, avec une main-d’œuvre locale plus jeune, mieux formée et peut-être plus motivée.

Mais revenons à notre sempiternel débat France/Allemagne : c’est un fait que le coût et la flexibilité de la main-d’œuvre sont maintenant significativement différents par simple comparaison entre ces deux pays : l’industrie allemande a su profiter de la main-d’œuvre est-allemande très qualifiée à un coût relativement bas alors que, pendant ce temps-là, Peugeot maintenait une forte production en France. Alors la faute au coût du travail en France ? Peut-être, mais pas seulement. La preuve, la Toyota Yaris, succès commercial certain en France, est devenue la seule voiture à avoir récemment obtenue le label «Origine France Garantie» avec plus de 50 % de la valeur du produit acquise dans l’Hexagone (très exactement 54,5 %) et l’acquisition de ses caractéristiques essentielles en France ! Cette approche est intéressante pour une marque globale, le 1er fabricant mondial de l’industrie automobile

Alors quels seraient les autres maux dont souffre l’industrie automobile française ? L’absence sur le haut de gamme, le faible niveau de qualité perçue par leurs clients, l’insuffisance d’investissements productifs, une politique marketing pas suffisamment « différenciante », des compétences managériales insuffisantes, une absence de présence internationale dans un marché européen sursaturé.

Depuis quelques années, nos constructeurs ont déserté le haut de gamme, laissant un boulevard à Volkswagen, Audi, Mercedes ou BMW. Sans concurrence, les constructeurs allemands ont su capitaliser sur la qualité perçue par les clients, l’image de produits sécurisants, sportifs, technologiques et robustes et in fine, sur l’image perçue par le client et son positionnement dans la structure sociale ! Ensuite, la déclinaison vers le segment mini-premium – Audi A1, Mini Cooper, BMW série 1, DS3 et Fiat 500 – a été un pas plus facile à franchir : il leur suffit de préempter la qualité allemande, le condensé de technologie, le positionnement du produit « fun »… Et nos constructeurs sont naturellement ramenés au niveau de la voiture bas de gamme, à l’opposé de ces critères : petit prix pour qualité moyenne. Perception clients, car nous savons aussi bien faire des voitures que nos concurrents : précision du train avant et qualité de la motorisation chez Peugeot, innovation chez Citroën, optimisation d’espace et de voiture à vivre chez Renault. Nous sommes dans la même dynamique que celle du petit électroménager ou de l’outillage : entrée de gamme avec une qualité toute relative, mais une forte innovation au détriment de la robustesse, de la fiabilité et donc de l’image perçue par le client.

Nous sommes sortis du marché haut de gamme alors que la croissance dans cette demande va être exponentielle dans les pays émergents : ainsi, la source IHS Automotive évalue que l’Inde devrait passer de 7 000 véhicules vendus en 2007, à 39 000 en 2012, 83 000 en 2016 et 133 000 en 2020. Et ce marché sera pris par BMW, Mercedes, Audi, Jaguar, Maserati, Ferrari ou Aston Martin, mais point de nos constructeurs. Durant ce temps, BMW, Mercedes ou Audi, avec chacun environ 1 million d’unités vendues en 2010 sur le marché porteur du « premium » envisagent un quasi-doublement de leurs ventes à horizon 2020 sur ce même segment, soit dans moins de 10 ans ! Nous restons sur nos segments bas/moyen de gamme, mais pourrons-nous réellement concurrencer les modèles régionaux qui seront produits en Asie. Renault s’est très bien implanté via Nissan ou Dacia, mais la course au volume a-t-elle des chances d’aboutir ? Peugeot, qui a beaucoup de similarité avec les plus gros constructeurs américains, comme son nouvel associé General Motors il y a 4 ans, a un potentiel de production trop important dans un marché européen saturé et atteint par la crise économique à répétition. Il doit donc très vite réduire ses sites de production, ses stocks et ses coûts. La tentation est désormais très grande de proposer un discount aux grossistes, via la politique commerciale ou le financement des ventes, accélérant donc naturellement la réduction des marges. General Motors a réussi à survivre en réduisant ses coûts de salaire, en développant plus de produits et en construisant une politique agressive des ventes. Peugeot aura-t-il le support politique et syndical pour passer une période extrêmement difficile ? Le rapport d’Emmanuel Sartorius a reconnu la nécessité des actions décidées par le groupe familial Peugeot, mais a pointé du doigt des erreurs managériales : près de 6 milliards investis dans le paiement de dividendes et le rachat d’actions alors que le constructeur allemand Volkswagen investissait pendant ce temps-là dans les pays émergents. Trop Européen, Peugeot est frappé de plein fouet par la crise, alors que Renault a su nouer une alliance avec Nissan ou délocaliser sa production d’entrée de gamme vers des pays à bas coûts. Donc échec industriel ou insuffisance de compétences managériales dans l’automobile, probablement les deux.

Mais la comparaison ne doit pas s’arrêter là : pas assez d’investissement productif et de robotisation source d’apport de valeur ajoutée, une politique de design conduite par la réduction de coûts (optimisation des lignes de production) et non pas l’identification et la satisfaction du besoin clients (qu’il est loin le temps de la sortie de l’Espace), un management pas suffisamment imprégné de la culture automobile. Ce dernier point est intéressant : industrie automobile signifie production en France alors qu’en Italie, c’est le plaisir, et en Allemagne, la qualité. La DS3 n’a eu qu’un succès d’estime comparé aux succès colossaux de la Mini Cooper ou de la Fiat 500 (modèle qui a d’ailleurs redressé Fiat à lui tout seul), car l’attente du client ne s’est pas retrouvée dans ce modèle… Reprendre uniquement le nom d’un modèle n’était pas en ligne avec l’attente des clients qui voulaient des rééditions des années 60-70. Non pas échec de produit, mais échec de la connaissance des attentes clients… À quand une vraie 2cv rééditée !

Les constructeurs français ont signé un accord tacite : pas de débauchage au sein de l’industrie ! Cela n’est absolument pas le cas en Allemagne, où nous pouvons voir des transfuges de Mercedes vers BMW ou vers Audi et inversement. Non seulement, cela crée naturellement une émulation commerciale et produit, mais aussi une parfaite connaissance de l’industrie et de ses tendances par les différents responsables. Nous avons fait un choix managérial différent, tout simplement traduit par l’embauche d’industriels polytechniciens: la production toujours, mais point de connaissance clients !

Alors que faire ? Copier les modèles industriels qui réussissent, prendre en compte les aspirations des clients, produire de la qualité dans nos usines françaises, peut-être une cogestion à l’allemande pour assurer une adhésion syndicale plus forte, rechercher aussi de vraies compétences en design, marketing, commercialisation plutôt que des réducteurs de coûts ? Développer nos compétences à la vente à l’exportation est aussi une clé majeure de la réussite industrielle.

Mais restera toujours un point fondamental : l’image de marque et le positionnement de prix. Dans des marchés très compétitifs, l’entreprise qui se trouve au milieu du gué se fait rattraper soit par celle qui prend un positionnement de marché bas de gamme avec la clientèle adéquate, soit par celle qui prend le haut de gamme avec une autre clientèle. À ce jeu-là, Peugeot a essayé de séduire les deux clientèles sans succès : ainsi la nouvelle 508, par manque criant de finitions, n’a pu concurrencer les voitures allemandes, alors que la qualité de sa motorisation ou de son train-avant peut très facilement les concurrencer. Production industrielle doit rimer avec marketing/commercial et connaissance du client. Coincés entre le haut de gamme tenu par les allemands qui descendent progressivement vers le bas de gamme-premium et les coréens (Hyundai ou Kia) qui progressivement montent en gamme comme les Japonais ont su le faire en leur temps, que faire ? La fuite en avant continue avec le lancement de nombreux nouveaux modèles ou dérivés, comme si l’achat d’une voiture pouvait se comparer à l’achat d’un parfum.

Et à court terme ? Nous n’avons plus les moyens de nous payer les subventions indirectes des primes à la casse dans un marché français sursaturé, un marché européen dépressif, une sous-utilisation de nos capacités de production en Europe, pourquoi ne pas donner un crédit de points sur le permis de conduire l’achat d’une voiture : cela ne coûte pas cher et pourrait rapporter gros à notre industrie…