La crise financière, tel un feu follet, a surgi dans le secteur bancaire, puis a contaminé les Etats venus à la rescousse des banques, pour repartir vers les banques quand il est apparu que celles-ci étaient gorgées d’emprunts publics. D’où cette pierre de plus au débat sur la régulation bancaire : faut-il que les banques achètent à ce point des emprunts d’Etat ? Et que le régulateur les y pousse, par trois leviers importants : en omettant, selon les règles de Bâle, d’exiger une charge en fonds propres pour toute détention de titres d’Etat ; en privilégiant ces titres comme collatéral pour obtenir de la monnaie banque centrale ; et bientôt, en les comptant comme « liquides » dans le calcul du ratio de liquidité ?

 

Les Etats se sont toujours satisfaits de trouver les banques pour acheter leurs dettes. Particulièrement aujourd’hui. Si les agents privés aiment les dépôts bancaires, peu rémunérés, il est commode pour lui de pousser le secteur privé à déposer dans les banques et que celles-ci investissent en titres publics. Cela fait partie de leur stratégie de répression financière, c’est-à-dire de sous-rémunération délibérée de l’épargne, pour réduire le poids de la dette dans le PIB. Paradoxalement, les aides fiscales à certains dépôts bancaires, dont le livret A, y participent, malgré leur coût budgétaire.

 

Les autorités monétaires sont plus ambivalentes. D’un côté, elles sont lucides sur les dangers macro-prudentiels de l’imbrication et voient bien qu’elles rendent la politique monétaire moins efficace à laisser les banques trop peu présentes dans le financement du secteur privé. Elles craignent aussi, pour les bilans bancaires, le jour où les taux obligataires commenceront à remonter.

 

Mais de l’autre, elles adhèrent à la stratégie de répression financière, seule façon relativement rapide de regonfler les fonds propres des banques : de façon silencieuse, sans prendre les risques et les coûts des crédits aux agents privés, les banques empochent l’écart entre le taux sur les emprunts d’Etat et celui qu’elles versent aux déposants ou à la banque centrale.

 

A ceux qui soulignent le danger de l’imbrication, on répond : « oui, mais ce sont les agents privés qui préfèrent le placement en dépôts bancaires ! Sans possibilité d’investir en titres publics, il y aurait un manque d’emplois rentables pour les banques. » Est-ce pour autant leur rôle ? Faut-il que le financement public, comme au temps des Fugger et Jacques Cœur, transite par un bilan bancaire ? Il existe pourtant tout un secteur financier, non bancaire, au nom médiatiquement commode mais trop péjoratif de shadow banking, dont un des rôles est de faciliter le lien entre épargne privée et financement public.

 

A cet égard, le modèle bancaire français est – ou était – tout à fait performant. Il a développé de longue date les OPCVM en gestion propre, notamment les Sicav de trésorerie que les réseaux bancaires plaçaient auprès des ménages et des entreprises. Ceci plutôt que de favoriser d’autres produits tels les comptes à terme ou sur livret. En bref, une gestion de l’épargne hors-bilan, par des entités non bancaires (qu’elles contrôlaient). On s’arrange aujourd’hui pour qu’elles réintègrent toute cette épargne dans leurs bilans. Cela n’a guère d’utilité sociale et au contraire inciterait plutôt les banques à mettre moins d’efforts, humains et financiers, pour financer le secteur privé.

 

On assiste depuis une décennie à une séparation croissante des métiers de gestion d’actifs et de banque commerciale, faute de réelles synergies pour les banques à fabriquer et gérer en propre les produits financiers. Mais leurs réseaux restent de formidables distributeurs de produits financiers, y compris fabriqués par d’autres.

 

Ce qui importe, c’est qu’on encourage la venue de puissants acteurs indépendants (fonds de pension, courtiers, gérants d’actifs non bancaires) pour fabriquer et distribuer, sur base d’un rendement / risque non biaisé par la législation ou la fiscalité, toute la palette des instruments de financement de l’économie, dont celui de l’Etat. La concurrence y gagnerait. L’Etat comme la supervision bancaire doivent cesser de pénaliser le financement des agents privés par rapport au financement public.

 

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Cet article reprend une tribune parue dans  l’Agefi Hebdo du 24 janvier 2013.