Des voix s’élèvent pour instituer (à nouveau) la séparation des banques entre banques d’affaires et banques de dépôt. La question est d’actualité même si le rapport Liikanen commandé par la commission européenne et publié début octobre fait une préconisation que l’on pourrait qualifier de « molle » sur le sujet1.

 

Quelles pourraient être les motivations d’une telle séparation ?

  • Réduire la probabilité de faillites bancaires et donc le risque systémique : cette proposition est peu convaincante à notre avis. En effet, comme beaucoup l’ont déjà souligné, aucun modèle bancaire n’a été spécifiquement moins touché par le risque de faillite. Ont été mis en difficulté par la crise financière des banques d’affaires (Lehman, Merrill Lynch), des banques de dépôt (Northern Rock, les caisses d’épargnes espagnoles), des banques spécialisées (Dexia)… Au final, ce sont les banques universelles qui ont le mieux résisté et qui sont venues au secours des défaillants (JP Morgan, BNP Paribas, Barclays) quand les États ne pouvait pas ou ne voulaient pas le faire. Si Santander et BBVA surnagent aujourd’hui parmi les banques espagnoles, c’est bien en raison de la diversification géographique et de leurs métiers qu’elles ont toutes les deux entamée il y a 20 ans.
  • Aboutir à des entités plus petites et dont le contrôle et la gouvernance seraient plus faciles à mettre en œuvre. De surcroît, la réduction de leur taille permettrait d’éviter le problème systémique du too big to fail. Probablement en théorie. Certainement pas en pratique. Quand on voit l’État français venir au secours du Crédit Immobilier de France, qui détient environ 3,5 % du marché des prêts immobiliers avec 50 000 prêts accordés par an, on se demande qui, à cette aune, n’est pas too big to fail à part la Banque de Dépôts et de Crédits de la rue des Martyrs (Paris, 9e arrondissement) ? Si la taille est le problème, la scission est une mauvaise réponse, il faut mieux dans ce cas là imposer une limite à la taille du bilan ou à la part de marché.
  • Des raisons politiques : infliger une punition symbolique, médiatiquement visible à un secteur par qui les problèmes sont venus.

 

Quelles seraient les conséquences d’une séparation des banques pour les entreprises ?

 

  • Des besoins de capitaux propres plus importants (risques accrus pour des banques plus petites pouvant moins jouer sur la diversification) et des coûts de financement par endettement plus élevés, se traduisant in fine par des conditions de financement des entreprises plus couteuses. À cet égard, il est frappant de constater que dans le financement des banques, la synergie financière est une réalité : la taille couplée à la diversification fait généralement baisser significativement le coût du financement, ce dont bénéficient in fine les clients. Ainsi, le CDS à 5 ans de BNP Paribas est inférieur de 40 à 50 points de base (bp) à celui du Crédit Agricole ou de Natixis qui ont une activité de Corporate and Investment Banking faible ou en nette réduction. L’écart entre  Deutsche Bank et Commerzbank qui se trouvent dans une situation similaire est aujourd’hui de 70 bp. Idem entre Barclays et RBS (30 bp).

 

  • Notons qu’en France, une banque qui accorderait autant de crédits qu’elle collecte de dépôts devrait néanmoins se refinancer sur le marché puisqu’une partie des dépôts qu’elle collecte avec le Livret A doit être centralisée à la CDC (qui est supposée l’utiliser pour financer le logement social sans toutefois arriver à l’employer intégralement à cet effet) et qu’elle doit assurer la liquidité de la quote-part des dépôts non garantis par l’État. Autrement dit, même une pure banque de détail a besoin de trouver des financements sur le marché à cause de l’intervention de l’Etat.

 

  • On pourrait néanmoins espérer que la séparation de la banque de financement de la banque de marché réduise la volatilité observée sur les volumes de crédit offert aux entreprises. Le raisonnement est le suivant : le volume de crédit dépend directement du niveau de capitaux propres des banques. Si une année les banques universelles font (suite à une crise financière par exemple), des pertes importantes sur les marchés financiers, elles seront bridées dans leur politique de crédit aux entreprises puisque leurs capitaux propres auront été réduits à due proportion. Elles agissent alors comme agent de contagion de la crise financière vers une crise économique. À l’inverse lorsque les marchés sont euphoriques, les banques universelles peuvent réaliser des profits importants sur les marchés, et riches en capitaux propres, elles peuvent alors être particulièrement généreuses pour les entreprises. C’est la situation que nous avions au milieu des années 20002.

 

En résumé, on peut donc conclure que les banques universelles présentent deux avantages pour les entreprises : des taux de prêt plus faibles, un one stop shopping efficace, mais elles ont l’inconvénient de refléter sur le marché de la dette bancaire la volatilité qu’elles subissent sur les marchés financiers.

On remarquera que dans le débat, les entreprises clientes des banques ne se sont pas exprimées pour demander la séparation des activités témoignant ainsi que le statu quo leur convient.

Que notre lecteur ne se méprenne pas, nous ne sommes pas en train de dire que tout va au mieux au féérique royaume des banques. L’actualité récente a montré la difficulté de contrôler efficacement les opérateurs de marché, une conception de la morale des affaires restant dans certaines parties de certaines banques défaillante (le scandale du Libor) ainsi qu’une absence d’analyse financière fondamentale sérieuse préalable à l’accord de certains prêts ou à l’investissement dans certains produits plus ou moins complexes.

Il n’y a pas d’économie saine sans banques saines. Éviter des faillites bancaires est donc très important. Mais ne nous leurrons pas, les éradiquer complètement est impossible. En tout cas, la séparation banque d’investissement et de financement des banques de détail n’est certainement pas de nature à atteindre cet objectif. Par contre, elle renchérira le coût du financement bancaire pour les entreprises sans leur apporter aucun avantage.

Le vrai problème n’est pas celui de la nature des activités exercées par les banques, mais celui de la qualité de leur gestion et de leurs dirigeants. C’est cela qui est crucial. C’est presque un truisme, celles qui sont tombées depuis 2008 sont celles qui étaient les moins bien gérées, c’est à dire dans le monde bancaire celles qui avaient pris consciemment ou inconsciemment le plus de risque de crédit, de solvabilité et de liquidité.

On a eu raison de faire remonter les ratios de solvabilité qui pouvaient atteindre des niveaux ridiculement bas afin de réduire les risques de faillite. Prétendre que, de ce fait, le coût du crédit en sera renchéri nous paraît faux dans un monde stabilisé. Certes, les banques auront plus de capitaux propres à rémunérer mais à un taux moyen plus faible puisque leur structure financière sera moins risquée du fait de ce surcroît de capitaux propres. De leur côté, les prêteurs courant moins de risque avec cette structure financière moins risquée devraient eux aussi exiger des taux d’intérêt plus faibles. Au total, le coût global des financements des banques ne devrait être impacté par leur structure financière. On retrouve les raisonnements de F. Modigliani et M. Miller bien connus du monde l’entreprise3.

On a eu raison de réguler les rémunérations et leurs structures pour éviter les comportements du style « pile je gagne, face tu perds » et donc d’agir sur les incitations. Et il ne faut pas relâcher la pression sur ce thème crucial.

On a eu raison de limiter, voire d’interdire les opérations de trading pour compte propre, même si la limite les séparant des opérations avec la clientèle n’est pas simple.

On a eu également raison de faire partir des présidents pas coupables, mais responsables (celui de Barclays dernièrement).

Nous pensons qu’aller au delà (séparation des activités) serait contre productif pour les clients.

 

Si vous souhaitez donner votre avis sur cette question, le sondage du site www.vernimmen.net sur sa page d’accueil est consacré à ce sujet.

 

1. Le rapport préconise une filialisation des activités de marché (trading pour compte propre et de teneur de marché), mais pas une séparation effective des banques universelles.

2. Voir La Lettre Vernimmen.net n°30 de juillet 2004.

3. Pour plus détails, voir les chapitres 37,38 et 40 du Vernimmen 2013