Le conflit des gilets jaunes, dans sa phase initiale du moins, mettait sur la table le dilemme : la réduction du contenu carbone de l’économie, utile et même indispensable pour la planète, se fait-elle principalement sur le dos des bas-revenus, au risque de provoquer un retour de manivelle ?

On signale une longue mais passionnante étude (en anglais) que vient de faire paraître Bruegel, le think-tank bruxellois : « Les effets redistributifs des politiques pour le climat ».

Les économistes en charge du rapport signalent les trois façons[1] dont une politique « verte » peut être régressive, c’est-à-dire affecter davantage en proportion les bas-revenus que les hauts-revenus :

  • Avoir un socle de dépenses « contraintes » riche en consommation de carbone, pesant donc davantage en proportion sur leur revenu. Typiquement, le véhicule diesel indispensable pour aller travailler au loin ou du logement très peu étanche au froid quand on n’a pas les moyens de l’isoler. C’est toute la thématique des dépenses dites « pré-engagées », pour lequel on peut signaler la remarquable étude statistique parue en mars 18 sous la signature de la DREES du Ministère des solidarités et de la santé.
  • Être rationnés par le crédit et donc ne pas avoir la possibilité d’investir en équipements plus carbone-efficace. Il y a par exemple des subventions pour installer des plaques solaires ou isoler son toit, mais, comme elles sont hors d’accès des bas-revenus, elles ne profitent qu’aux ménages aisés.
  • Avoir une part plus importante de son revenu sous forme de salaires « peu qualifiés » et moins en provenance des revenus du capital ou du foncier ou de salaires « qualifiés ». L’idée ici est que l’économie économe en carbone provient de nouvelles technologies, exigeant des compétences plus qualifiées (d’où des salaires élevés pour les jeunes qui y sont recrutés), et qui bénéficie aux investisseurs capables de déplacer leur patrimoine financier vers ses secteurs. L’actionnaire d’une mine de charbon peut aisément se désengager ; le mineur, beaucoup moins.

Sur cette base, les auteurs font la liste des différentes politiques sectorielles anti-carbone et y mettent un point vert si la mesure est progressive, rouge ou orange si elle est régressive, et grise si elle est de sens ambiguë. Voici le tableau, en anglais :

 

Il n’y a guère de points verts dans le tableau. Le dilemme fin de mois / fin du monde est bien réel. On y relève qu’une politique uniformément progressive serait la taxation du fuel aérien, dont l’absence est au demeurant une aberration d’un point de vue écologique. Il y a ambiguïté concernant le fuel automobile, ceci pour faire réfléchir les gilets jaunes : les bas-revenus sont moins souvent propriétaires d’une voiture et l’utilisent moins souvent, même si la voiture fait partie des dépenses pré-engagées de nombreux ménages ruraux à revenu modeste. Par contre, subventionner l’achat d’une Tesla est une sorte de cadeau fait aux hauts-revenus. On a envie de contester le point orange du fuel maritime, une source horrible de pollution. Certes, il décourage l’importation, notamment venue d’Asie et les ménages modestes ont une consommation plus riche en biens importés. Mais ce « protectionnisme écologique », si on ose le mot, a la vertu de rétablir le made in Europe, et donc enrichir les emplois sur le sol national.

La dernière partie du rapport traite des moyens de contrevenir à la régressivité des mesures vertes. Ils sont de trois ordres :

  • Redistribuer aux bas-revenus les recettes liées aux taxes carbone, directes ou indirectes, par exemple en renforçant significativement la progressivité du système fiscal,
  • Se limiter aux mesures vertes clairement progressives (mais elles sont minoritaires),
  • Faire en sorte que les mesures anti-carbone soient formulées de telle sorte qu’elles bénéficient prioritairement aux bas-revenus : décarboner les services publics prioritairement (transports publics et logements sociaux), ou subventionner le producteur électrique pour qu’il installe des équipements efficients chez les ménages à revenu modeste.

Une étude qui vient à point nommé.

[1] Il y en a quatre dans le rapport cité. On fusionne les raisons 3 et 4.