Après tergiversations, le gouvernement a renoncé à tout alignement, même étalé dans le temps, des fiscalités sur le diesel et sur l’essence. Les uns s’indignent : écologie ! Les autres respirent : on évite un mauvais coup pour l’industrie automobile française, très engagée sur les moteurs diesel, et ce n’est pas le moment de ponctionner le pouvoir d’achat des Français.

 

 

Pour ce billet, tourné vers le bon usage de la fiscalité, acceptons un instant les arguments écologiques contre le diesel. La solution simple à ce dilemme serait alors : d’accord, relevons la fiscalité (dite TIPP) du diesel, de façon à corriger une incitation fiscale aujourd’hui erronée. Faisons-le très progressivement pour éviter la déstabilisation du marché automobile. Mais surtout : baissons en proportion la fiscalité sur l’essence, pour éviter le choc sur le pouvoir d’achat. Le montant d’impôt collecté n’a aucune raison de croître si le motif est la correction d’un décalage tarifaire jugée néfaste. Et sachant que les ménages à revenu modeste disposent en général d’une automobile à faible plutôt qu’à grosse cylindrée, et donc plus fréquemment motorisée à essence, la mesure pourrait même être à leur avantage.

 

 

Mais le gouvernement n’envisage pas aujourd’hui de baisser un seul impôt. Quand il introduit une fiscalité qui a pour but d’introduire de bonnes incitations ou d’en corriger de mauvaises, il le fait encore et toujours en montant le total des impôts.

 

 

Citons deux autres exemples dans le domaine de la fiscalité verte. D’abord, la taxe sur les transporteurs routiers. Le gouvernement veut légitimement réduire l’usage des routes nationales et départementales par les routiers, qui tendent à déserter les autoroutes évidemment plus coûteuses. Ce déport a un coût social élevé en termes de sécurité routière et de dommages à des routes moins préparées à recevoir un trafic intense de poids lourds. D’où la taxe. Elle provoque à juste raison l’émoi des industriels du secteur. Si l’objectif est la réorientation du trafic, il faut certes s’arranger pour accroître le coût d’usage des routes nationales par les camions, mais en réduisant dans le même temps celui des autoroutes (au demeurant qui ont été bien imprudemment privatisées).

 

 

Ensuite, la taxe carbone, renommée contribution climat énergie. Elle peine à émerger, pour de multiples raisons dont l’une est que l’Europe s’est embarquée très tôt dans une autre approche pour réduire les émissions de carbone. Elle a retenu un marché des droits d’émission plutôt qu’une simple taxation, pour satisfaire les gouvernements nationaux qui préféraient des droits, plus indolores que des  impôts. Mais tant l’expérience récente du marché européen du carbone que le consensus des économistes indiquent que l’instrument de l’impôt est plus efficace dans la réduction du CO2. Là encore, la bonne approche serait de mettre en place la taxe carbone, mais de le faire à prélèvement fiscal constant, y compris (partiellement) par baisse de la TIPP, qui est incontestablement un impôt vert, mais moins bien profilé que l’est la taxe carbone.

 

 

L’urgence budgétaire de la France pousse le gouvernement à une confusion en matière fiscale. Les impôts verts ne sont pas essentiellement conçus pour rapporter des masses considérables d’argent pour l’Etat. Ils servent surtout à guider les ménages et les entreprises vers de bons comportements, lorsque le jeu naturel des forces économiques et du marché ne le fait pas ou au contraire pousse dans le mauvais sens. On parle d’impôts comportementaux. À la limite, s’ils sont suivis d’effet, à savoir si le comportement rentre dans le rang, la base fiscale disparaît. À l’inverse, les autres impôts, essentiellement sur le revenu et la consommation, se doivent, nous dit la théorie fiscale, d’interférer le moins possible avec les comportements.

 

 

Il convient donc de promouvoir les impôts verts en substitution d’autres charges fiscales, et de le faire savoir. Outre le danger politique de la posture, aucune tactique ne justifie de créer dans l’esprit du public une association entre écologie et surcroît d’impôt.

 

 

Parce qu’en vérité le point dépasse la seule fiscalité verte. Il touche au débat dit des « niches fiscales ». Beaucoup  sont assez peu populaires, sauf pour la catégorie de gens qui en bénéficie très directement. Leur suppression donnerait l’occasion d’une base fiscale plus large en permettant des taux d’imposition plus faibles, là encore une recommandation forte de la théorie fiscale. La réforme gagnerait le soutien de cette partie du public, la grande majorité, qui en verrait un petit avantage sur sa feuille d’impôts, au lieu de laisser le champ à ceux, minoritaires, qui sont pénalisés par la réforme.

 

 

Aujourd’hui, le public freine des quatre fers devant les réformes fiscales parce qu’il voit qu’elles ne signifient que des taxes en plus. On légitime l’opposition systématique à l’impôt, un mal grandissant dans la conscience nationale des Français. Il faut revoir la communication s’agissant de l’impôt. Il est temps que les gouvernements, sur le modèle des entreprises quand elles cherchent à justifier des hausses de prix, s’approprient les bons outils du marketing quand ils pensent fiscalité.