Il y a un truc qui marche pour la gestion financière d’un groupe, entendons d’une entreprise qui a de multiples filiales, éventuellement à l’international : le Management par Délégation Externe (MDE), ou Agency Management pour jargonner anglais. Ne cherchez pas ce mot dans la Harvard Business Review, je viens de l’inventer, pour le jour où je deviendrais consultant.

L’idée est simple et à vrai dire ne requiert pas de consultant pour sa mise en place. A tel point que beaucoup de directeurs financiers le font déjà. Elle vient du constat qu’il est toujours difficile, quand on supervise une fonction complexe comme l’est la fonction finance dans l’entreprise, de trouver le bon équilibre entre une approche distante, hands-off, et une approche activiste et très présente dans la supervision financière des filiales ou même des différents domaines de la direction. Trop distante et vous ne surveillez pas le business et accumulez les risques ; trop rapprochée, trop dans les cheveux de vos collaborateurs, et vous les incommodez, vous risquez de les décourager, chacun de nous souhaitant disposer d’un minimum d’autonomie. On veut des directeurs financiers, on veut des contrôleurs de gestion, pas des moutons bêlants. Dans les deux cas, vous accroissez le risque.

 

L’exemple de la fonction comptable

Le bon exemple est la fonction de contrôle de la qualité comptable au sein du groupe. Le MDE vous dira que votre commissaire aux comptes, donc un conseil externe à l’entreprise, peut tout à fait vous y aider. Comment ? Tout d’abord, il faut que ce soit un auditeur disposant d’un bon réseau, international si vous avez des filiales à l’étranger, avec un associé réellement en charge de la relation groupe. Vous lui demandez de remonter systématiquement chaque management letter (ML) des entités sous revue et de vous en faire la synthèse. Au besoin, vous lui fournissez le format standard que doit prendre une ML.

Deux ou trois précautions. Premièrement, se garder d’exiger que le rapport de synthèse et les ML individuelles soient exhaustifs. Ne doivent remonter que les faits significatifs. De la sorte, vous laissez une zone de négociation entre le CAC de la filiale locale et son directeur financier. Si tout est rapporté, si rien ne peut faire l’objet de discussions et d’échanges privés entre le CAC et le responsable local, le risque est que la parole ne soit pas libre (un directeur financier local a tous les moyens de taire une information s’il le souhaite vraiment). L’atmosphère doit être à la transparence, et la transparence doit s’accommoder, on le sait bien, de quelques zones moins éclairées.

Ensuite, veiller à ce qu’il y ait la même pesée pour un même fait marquant d’une filiale à l’autre. Si le CAC de la filiale italienne vous remonte 80 points d’audit, et celui de la filiale allemande uniquement 2, il y a un doute sur l’étalon de mesure.

De la sorte, il s’instaure entre le CAC et le financier en local le même type de rapport que le directeur financier groupe souhaite avoir avec son CAC : un dialogue ouvert, avec une certaine flexibilité, seuls les points importants remontant à la direction générale ou au comité d’audit.

Au passage, on est surpris de voir que les grands réseaux d’audit sont encore très loin d’offrir un véritable service mondial. Bien qu’ils fassent des progrès, les Big Four souffrent encore de leur organisation partenariale, avec large autonomie des entités nationales. Il faut toujours des palabres entre partenaires, sans standards uniques de reporting, avec une gestion encore perfectibles des conflits d’intérêt. On est très loin du service qu’un Publicis dans la publicité ou un Goldman Sachs dans la finance peuvent rendre auprès d’un grand compte. D’une certaine façon, un « petit » réseau comme Mazars, français de surcroît, mieux intégré et qui a privilégié les relations salariales aux relations partenariales entre ses collaborateurs, y arrive souvent mieux.

 

Un principe généralisable et « fractal »

Le principe MDE est généralisable à d’autres fonctions financières. Le cash management (via une banque qui centralise les flux, même si ce n’est pas facile à trouver pour une gestion internationale), la gestion des placements (via un fonds d’administration de la gestion, laissant la gestion tactique à des gérants locaux), l’assurance (via un courtier international), peut-être le contrôle de gestion, certainement le contrôle interne, selon le principe quis custodiet ipsos custodies. Le credit management est un exemple emblématique. Voici, comme pour le contrôle de gestion, quelque chose qu’il convient de laisser à un niveau local (puisque proche du commercial) ; mais qu’il faut mettre sous le regard du siège en raison des risques opérationnels ou financiers encourus. Le credit manager groupe ou le risk manager groupe peut donc avoir le même type de gestion par délégation externe, en l’occurrence un assureur-crédit ou un factor, assurant à la fois une approche distante et rapprochée propre au bon management.

Ensuite, le MDE est un principe « fractal », qui fonctionne à tous les niveaux de la hiérarchie. Le directeur financier local peut en user pareillement avec ses collaborateurs, trésorier, contrôleur de gestion. Ce n’est que du management par délégation, mais appuyé sur un prestataire externe. Il en résulte certains couts, mais qui font partie du cout du bonne gouvernance.