Chaque année, 150 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualification ni diplôme. C’est dire qu’il est stratégique pour le pays de disposer d’un système de formation professionnelle important et efficace (outre les questions que cela pose sur l’enseignement primaire et secondaire).

Sur l’importance, la France fait l’effort qui convient. Selon les chiffres de la Dares, elle y consacre 1,5 % de son PIB, soit 30 Md€. C’est la moitié du budget total de l’Éducation nationale et davantage que le budget de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les entreprises en assument 12,6 milliards, soit 42 % du total. Le reste vient de l’État, y compris les collectivités locales (54 %, dont 19 % pour la formation de ses propres agents) et des ménages, avec un tout petit 4 %.

Sur l’efficacité, il y a beaucoup à redire. L’Institut Montaigne en fait à raison un cheval de bataille. Il faut lire son dernier rapport, « La formation professionnelle des adultes : pour en finir avec les réformes inabouties », écrit par Pierre Cahuc, Marc Ferracci et André Zylberberg, trois bons spécialistes de l’économie du travail.

On retiendra ici une seule des conclusions du rapport : le système profite largement aux grandes entreprises au détriment des petites. Voyons par quel mécanisme, et quelle recommandation en tirer pour les PME.
La loi pose que les entreprises de plus de 10 salariés doivent obligatoirement dépenser au moins 1,6 % de leur masse salariale pour la formation professionnelle, et davantage selon certains accords de branche. Les grandes entreprises sont souvent bien au-delà de ce chiffre : on estime la moyenne de leurs dépenses de formation à 3 %. Les PME le plus souvent juste au taquet.

Ce chiffre de 1,6 % se décompose en : 0,9 % au titre du plan de formation (frais liés aux conventions de formation, salaires des collaborateurs en formation, etc.) ; 0,5 % au titre de la professionnalisation, c’est-à-dire en gros les contrats de professionnalisation (dits encore d’alternance), les périodes de professionnalisation permettant aux salariés d’obtenir une qualification ou une certification, et les contrats au titre du droit individuel de formation ou DIF introduits dans la loi de 2004) ; 0,2 % au titre du congé annuel de formation ou CIF, contribution dont sont exonérées les entreprises de moins de 20 salariés.

Cette avalanche de chiffres et de sigles montre déjà qu’il faut être spécialiste pour s’y retrouver. Et les PME ne disposent pas de tels spécialistes.

Du coup, la loi française a mis sur pied des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), sur base d’une organisation de branches d’activité. Leur mission est double : jouer un rôle de conseil auprès des DRH pour les aider à s’y retrouver dans cette jungle et promouvoir leurs formations internes, rôle d’autant plus utile, on l’imagine, qu’il s’adresse aux PME ; et permettre une mutualisation des sommes au mieux des besoins. Il n’est pas anormal en effet, sachant le bénéfice collectif qu’apporte à l’économie une main-d’œuvre bien formée, que les entreprises à salariés très qualifiés soient mises en position de contribuer à la formation professionnelle des autres.

Ainsi, les contributions de 0,5 % et de 0,2 % ci-dessus sont obligatoirement à verser aux OPCA, à charge pour elles de les répartir. Mais beaucoup d’entreprises, notamment les petites et de plus en plus les grandes, on verra pourquoi, leur versent également une part de leur 0,9 %. Ainsi, les OPCA recueillent à peu près la moitié des 13 Md€ acquittés par les entreprises.

Malheureusement, ce beau mécanisme a été perverti. Les grandes entreprises, mieux équipées et dotées de spécialistes en formation professionnelle, savent « ruser le système ». Les PME, non. Les grandes entreprises captent donc l’essentiel des financements des OPCA parce qu’elles connaissent les dépenses qui peuvent être sujettes à remboursement et que leur lobbying est plus efficace.

Le dévoiement le plus patent concerne les 0,5 % au titre de la professionnalisation. Un bon DRH sait jongler avec les dépenses de DIF pour les faire prendre en charge par son OPCA. De même, il saura mettre en place les « périodes de professionnalisation » les plus adaptées pour les rendre éligibles à remboursement.

De même, la grande entreprise fera transiter par son OPCA une fraction plus importante de ses dépenses de formation, c’est-à-dire au-delà du 0,5 % + 0,2% obligatoire, mais selon la règle du « I want my money back ». Il s’agit pour elle d’une simple optimisation financière pour des dépenses qu’à défaut d’un financement OPCA elle prendrait à sa charge. Qui paie alors sinon l’entreprise, et donc typiquement la PME, qui n’utilise pas à plein sa contribution à l’OPCA pour ses propres dépenses de formation ?

Le constat mérite bien sûr d’être nuancé. Les congés individuels de formation par exemple semblent bien jouer leur rôle de mutualisation au profit des PME. Mais ils ne concernent que 0,2 % de la dépense. Les contrats d’alternance, si utiles parce qu’ils permettent de recruter des jeunes souvent bien formés et d’en faire un vivier pour des recrutements futurs, sont un mécanisme qui profite globalement aux PME. Mais les « périodes de professionnalisation » sont subitement venues, promues par les grandes entreprises, pour manger de la subvention OPCA au titre de la contribution de 0,5 %.

De tout cela on peut tirer une recommandation assez simple : PME, intéressez-vous à la formation professionnelle, sinon d’autres s’y intéresseront pour vous ! Par exemple, les contrats d’alternance sont une embauche peu coûteuse pour l’entreprise. Par exemple, chaque heure de droit individuel à la formation est remboursée à hauteur de 9,15 euros. Par exemple, les « périodes de professionnalisation » sont remboursables à hauteur de 18 euros par heure de formation diplômante ou qualifiante.

Du coup, il est judicieux pour une PME d’investir en compétence professionnelle interne sur les sujets de formation. Ce peut être en formant et sensibilisant son DRH sur les sujets de formation (une dépense qu’elle pourra se faire rembourser par son OPCA !) ; ou en recourant à des consultants externes ; ou en faisant le pied de grue auprès de son OPCA pour disposer des conseils qu’elle est en droit d’exiger d’elle.

Précisons cependant : pour une PME, entre verser de l’argent à fonds perdus au profit des grandes entreprises et l’employer à de la formation professionnelle interne, le choix est vite fait. Elle aussi doit ruser le système ! C’est ce que conseille ce billet. Mais ce n’est pas pour autant que la dépense de formation est socialement efficace. Peut-être n’a-t-elle in fine pas besoin de formation et les sommes en cause seraient mieux investies par elle en hausse de salaire, en recrutement ou en investissement ? Il y a donc un gaspillage collectif, qui contribue à alimenter un marché de la formation pléthorique, avec pour conséquence une baisse de l’efficacité de la dépense de formation.

Selon les auteurs du rapport cité, c’est le système de l’obligation légale de 1,6 % qui est en cause : les incitations qu’il envoie ne sont pas adaptées. Ils suggèrent de remplacer la contribution obligatoire par un système de crédit d’impôt à la formation à la fois pour les entreprises et, nouveauté qui nous rapprocherait d’autres pays, aux particuliers qui veulent se former. Pour les entreprises, la collecte se ferait par les Urssaf, puisqu’elles le font déjà pour les cotisations sociales ; les OPCA garderaient leur importante fonction de conseil. S’il faut pousser les PME à davantage former, ce peut être en modulant à leur profit le crédit d’impôt.

Ce qui conduit au sujet de la gouvernance des OPCA. En moyenne, pour 100 euros prélevés, elles en distribuent 85. Ce coût de frottement de 15 %, soit de l’ordre de 900 millions d’euros,  est hallucinant ! Il faut certes ôter environ les 2 à 3 % de coûts administratifs pour une OPCA bien gérée ; et les 1,5 % qui sont une sorte de « denier du culte » payés aux partenaires sociaux qui gèrent le système ; plus les quelques autres contributions que l’État ne souhaite pas fiscaliser et préfère cacher au sein des OPCA. Mais le reste représente en principe le coût du service de conseil aux entreprises. Où est-il ? Manifestement, les entreprises n’en ont pas pour leur argent. Le système est en défaut.

Allant plus loin, il faut une véritable action publique obligeant à une transparence complète des OPCA, avec mesure et comparaison de leurs performances, avec séparation plus stricte entre les parties prenantes que sont les partenaires sociaux et le management de l’organisme, si l’on doit conserver le principe du paritarisme ; enfin, avec un véritable contrôle externe, par le Parlement et la Cour des comptes.
Mais tout cela dépend du bon vouloir des syndicats, tant patronaux que salariés (mais surtout patronaux, dit avec quelques arguments la CFDT), qui utilisent abondamment le système des OPCA pour leur financement interne.