Le mot de Jacques Attali (cf. infra) a fait sourire, rire ou a profondément agacé. A l’issue de ce G 20 de Pittsburgh, et alors que l’encre des communiqués finals n’est  pas encore sèche, que peut-on d’ores et déjà en dire ? La réponse serait : « G pas si vain ! »

Rappelons, brièvement,  les sujets annoncés à Londres en avril, qui devaient être abordés du 23 au 25 septembre : le secret bancaire, la mise au pas des « hedge funds », un renforcement du capital du FMI et une évolution de sa gouvernance, l’harmonisation de la réforme comptable, les fonds propres bancaires et, point majeur et médiatisé par les délégations française et allemande, l’encadrement des bonus.

1. Le secret bancaire et son corollaire des paradis fiscaux a été en partie levé. Les principaux pays concernés ont signé au moins 12 conventions fiscales ainsi qu’il avait été demandé à Londres. Bonne nouvelle : Monaco et la Suisse sont sortis in extremis de la liste grise de l’OCDE. Triste nouvelle : les îles Caïmans seraient au bord de la faillite. Quelques bémols néanmoins : certains accords ont été passés entre paradis fiscaux, ce qui ne représente pas un pas de géant vers la transparence. Mieux, la City (!), les îles anglo-normandes, Macao et l’Etat du Delaware ne sont pas concernés au motif… inexistant, si ce n’est la participation de leur pays de rattachement aux réunions du G 20 ! Et pourtant, Catherine Lubochinsky a montré que l’opacité des paradis fiscaux a aggravé la crise financière (**). Mais, volens, nolens, le lien n’a pas été fait avec les notions de paradis réglementaires, ce qui minimise pour le moins la portée des décisions prises à propos des hedge funds.

2. Quelques centaines de milliards de dollars seront versés au FMI pour augmenter ses capacités d’intervention… mais la gouvernance (et donc les modalités de validation des accords de prêts) n’a pas changé : des pays européens ont accepté de transférer des fractions de voix à des pays émergents, mais les Etats-Unis et le Japon ont refusé d’être concernés !

3. Les Européens et les Américains ont convenu de faire converger leurs normes comptables à l’horizon de 2011, mais on ne sait pas qui convergera plus vers l’autre (les positions des gouvernements sur la juste valeur restent très éloignées les unes des autres),  ni comment la supervision des organes préparateurs de normes sera organisée.

4. Les Américains se sont engagés à appliquer la réglementation de Bâle 2 mais, en signe de bonne volonté (?), ont demandé et obtenu de considérer activement et à brefs délais l’introduction  d’un ratio de fonds propres sur le total d’un bilan bancaire. Ceci est contraire à l’esprit de Bâle 2 qui  refuse tout amalgame de cette nature et privilégie une approche par types de dangerosité de risques pour affecter les fonds propres adéquats. Tous se sont retrouvés sur le besoin de créer des provisions dynamiques à caractère contra-cyclique et c’est au moins un point positif.

5. Enfin, au-delà de l’étalement sur trois ans, avec bonus/malus du versement des intéressements prévus, la délégation américaine a fait une proposition astucieuse pour encadrer les bonus : s’assurer que les sommes distribuées sont compatibles avec les fonds propres de l’établissement bancaire. Cette subtilité permettra aux superviseurs bancaires de donner un avis sur tous les établissements de son ressort sans avoir à modifier les lois bancaires, ni s’immiscer dans la gestion d’organisations à capitaux privés.  Sachant qu’il devra, à l’avenir, surveiller les bonus des traders de la City, il est cocasse de citer le président de la FSA, Lord Turner : « Les Britanniques vont devoir supporter pendant des années des impôts plus élevés et des baisses de dépense publique à cause d’une crise cuisinée dans des salles de marché où de nombreuses personnes gagnaient des bonus annuels équivalant au revenu d’une vie entière pour certains de ceux qui en subissent à présent les conséquences. » Ou encore : « Certaines parties du secteur des services doivent réfléchir profondément à leur rôle dans l’économie, et se recentrer sur leurs fonctions sociales et économiques essentielles, s’ils veulent regagner la confiance du public. » Pour les opérateurs de marché britanniques : the best is yet to come! Quels enseignements en tirer pour les directeurs financiers ? Aucun ! Il faudra attendre le détail des mesures d’application pour en savoir plus. Mais cet état de fait impose à toutes les organisations professionnelles et sectorielles de s’impliquer fortement dans l’élaboration de ce nouveau monde qui nous est promis. Il faudra être vigilant, clairvoyant et travailleur.

Alors G vain ou pas ? Pas tant que cela.

Les sujets tels le chômage, la poursuite des plans de relance, la sortie de crise, déminage de la crise sociale, etc. n’ont pas été abordés. En soi, ceci est une information pour chacun : ces points ne sont simplement pas à l’ordre du jour car la crise est loin d’être achevée et ses remèdes restent incertains. Les directeurs financiers vont donc s’armer de courage car leurs missions actuelles de contrôle des coûts, de gestion de la rareté des ressources humaines (paradoxalement) et financières, de financements difficiles, de décryptage de prévisions de carnets de commande… sont loin d’être achevées. Il faudra encore s’armer de patience avant de retrouver les activités enthousiasmantes du pilotage de développement, d’intégration de rachats, de montages financiers astucieux.

Pas si vain que cela, enfin…

1. … car un thème s’est invité en dernière minute : celui de l’environnement. Les Américains et les Chinois ont accepté ce qu’ils avaient refusé à Kyoto, à savoir une réduction de leurs émissions d’oxydes de carbone. Il s’agit là d’une avancée majeure et de bon augure avant la conférence de Copenhague. On peut penser que traiter ce sujet à Pittsburgh signifie à la fois que ce domaine est devenu important pour tous et que nul, au niveau des Etats (et donc au-delà de la problématique des permis d’émission qui ne concernent que les grandes entreprises), ne peut en faire abstraction. C’est aussi la preuve que ce domaine environnemental fait partie intégrante des réflexions sur les évolutions de l’économie mondiale. En revanche, l’application de ces professions de foi peut conduire à des remises en cause inquiétantes. La demande de certains européens de créer des « barrières environnementales aux frontières » pourrait nous entraîner un cycle protectionniste aggravé qui ne dirait pas son nom (mais qui n’a pas échappé à l’OMC et à son président Pascal Lamy) et remettrait en question (pour le meilleur ou le pire ?) les stratégies d’externalisation menées par les grandes et moyennes entreprises et envisagées par les petites entreprises.

2. … car des dates ont été fixées pour les prochaines réunions du G 20 en 2010 et 2011, institutionnalisant ainsi l’approche multipolaire de l’économie mondiale. Le G8 est moribond, vive le G 20 !

Aurait-été vain un sommet qui n’aurait conduit à aucun changement. Celui de Pittsburgh, par les résolutions prises, autant que par les réponses qui n’ont pas été données et par les points qui n’ont pas été abordés, a apporté quelques éléments de réflexions et généré beaucoup de questions qui ont gagné en actualité. En creux et en pleins, un cadre d’avenir vient d’être dessiné. Ce sommet aura été, non seulement vain, mais nuisible pour ceux qui regarderaient passer le train sans réagir ! C’est au moment où les lignes bougent que les opportunités sont  nombreuses. Et puisque le diable réside dans les détails, à chacun de s’organiser, individuellement et collectivement. Maintenant !

Dominique Chesneau

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(*)  G20 ou G Vain – Titre de l’éditorial de Jacques Attali paru dans L’Express – semaine du 17 septembre.  
(**) Catherine Lubochinsky in « Rapport du Conseil d’analyse économique franco-allemand ».