General Electric fut depuis sa création par Thomas Edison, il y a plus d’un siècle, un groupe iconique, parmi les plus prestigieux du monde. Un conglomérat industriel hautement diversifié, regroupant les turbines, l’électroménager, le secteur financier, le matériel médical, la télévision, et on en passe. Sa capitalisation boursière a presque atteint les 600 Md$ au début des années 2000. Elle est aujourd’hui de 89 Md$, après trois gros coups sur la figure (ci-dessous le graphique de sa capitalisation boursière tiré d’un article du New York Times :

Le premier advint lorsque la bulle internet a crevé au début des années 2000, aggravé dans le cas de GE par l’attaque terroriste sur le World Trade Center qui a paralysé un temps le transport aérien, et surtout – on y vient – par la nouvelle régulation Sarbanes-Oxley qui obligeait à une transparence accrue et rendait plus difficile de faire jongler le profit opérationnel d’une unité opérationnelle à l’autre pour faire apparaître une progression régulière et bien répartie de la profitabilité.

Le second, plus sérieux, lors de la crise financière de 2008 quand les marchés se sont aperçus de l’énorme exposition financière de GE Capital, qui a obligé le gouvernement étatsunien à lui fournir une garantie sur un encours de dette de 139 Md$.

Le dernier coup est plutôt une glissade, venue d’une sorte de découragement de la Bourse sur la capacité de GE à rebondir.

GE en est donc à proposer à ses actionnaires une découpe en trois entités : GE HealthCare qui va entrer en bourse le 4 janvier 2023 via un spin-off (c’est-à-dire apport aux actionnaires de GE d’une action de la nouvelle entité pour toute action GE détenue) ; puis, GE Vernova (par un spin off qui sera fait au début 2024), emportant tout le pôle énergie du groupe (une division qui a énormément souffert depuis quelques années, comme on le sait pour Alstom, de la chute de la demande pour les centrales au gaz). L’entité restante sera rebaptisée GE Aerospace, exclusivement centrée sur l’aviation.

Cette dégringolade est-elle l’indice de la non-viabilité financière et économique des conglomérats, ou bien un phénomène plus spécifique à GE, tenant à une mauvaise gestion du groupe ? La première hypothèse est peu vraisemblable quand on voit la facilité avec laquelle se recréent aujourd’hui des conglomérats, Amazon et Alphabet-Google étant de bons exemples, ou que vivent des conglomérats solides comme Samsung ou Berkshire Hathaway. Un billet de Vox-Fi de 2017 (À propos des bons conglomérats) tentait une caractérisation financière des conglomérats, en montrant qu’ils pouvaient dans certaines configurations être des organisations capitalistes performantes. Deux traits ressortent particulièrement :

  • Un marché interne du capital permettant de bouger rapidement le cash-flow au sein du groupe pour investir dans les secteurs les plus performants.
  • Un marché interne du travail permettant de former des cadres performants, au profil de moines-soldats, et de les faire circuler au sein du groupe.

Il est clair que l’extension des marchés des capitaux rend moins décisif le premier point, dès lors qu’il est plus facile qu’autrefois pour une entité opérationnelle de lever des fonds. (Si Amazon choisit de se diversifier, c’est en raison de son excès de cash-flow et de l’accord de ses actionnaires de laisser le groupe réinvestir les fonds en interne). La remarque faite plus haut sur Sarbanes-Oxley a sans doute accentué l’avantage qu’on les marchés financiers à financer des entités autonomes.

Dans son livre Power Failure: The Rise and Fall of an American Icon, désigné meilleur livre de l’année 2022 tout à la fois par The New Yorker, le Financial Times et The Economist, William D. Cohen souligne l’événement qu’a été la fermeture du centre de formation des dirigeants, l’ouverture à du recrutement externe et la perte du très spécial esprit maison qui caractérisait le groupe. Très spécial, mais peut-être trop spécial, s’accompagnant de l’hubris qui frappe souvent les empires et leurs dirigeants.

Car ce sont les hommes et les femmes qui font ce qu’est un groupe. Ce sont eux, dès le temps de Jack Welch, le mythique dirigeant de GEE entre 1981 et 2001, qui ont privilégié le cost-cutting à tout va, la tension sur les équipes (Welch était favorable à l’idée de virer 10% du personnel chaque année – un jeu dont on sait qu’il est sans fin si on s’y laisse prendre), et la transformation d’un groupe industriel en un organisme financier perdant ainsi un peu plus son âme.