Les sondeurs s’entendent souvent dire « Moi je vais bien, mais le pays va mal ». Et certains communicants d’en conclure qu’il suffirait de réconcilier ces deux visions pour créer un déclic de confiance. Existe-t-il, en ce début d’année 2016, un tel décalage de perception entre la situation individuelle des entreprises (perçue comme meilleure) et la situation générale de l’économie (perçue comme plus risquée) ?

Les résultats comptables 2015 publiés à ce jour, souvent meilleurs qu’attendus, semblent appuyer l’idée d’une année 2015 au total plutôt satisfaisante. La forte chute du baril de brut, accompagnée de celle des matières premières, des taux d’intérêt et de l’euro, a sensiblement remonté le taux de marge des sociétés non financières, directement et via les gains de pouvoir d’achat des ménages. La montée en charge du CICE, dont le taux est passé de 4 à 6% de la masse des salaires ne dépassant pas 2,5 fois le Smic, a aussi apporté son écot. Au titre de la seule année 2015, un peu plus d’un million d’entreprises ont déclaré une créance fiscale de 17,5 Md€, contre 9,9 Md€ en 2014. A fin 2017, l’effet cumulé du CICE dépassera 65 Md€.

Les récentes estimations de l’INSEE confirment que l’augmentation des marges des entreprises commence, depuis le quatrième trimestre 2015, à se transformer en investissement, sous l’effet d’une augmentation de la demande anticipée et de la mesure de sur-amortissement fiscal annoncée au printemps 2015 et récemment prolongée jusqu’au 31 décembre 2016. Le dernier baromètre établi par Eurogroup Consulting auprès d’une centaine d’entreprises tricolores indiquait que leurs dirigeants retrouvaient foi dans la France, en tablant sur une hausse de leur activité et de leurs investissements. L’enquête réalisée par la BPI en novembre 2015, auprès de 29.400 entreprises de moins de 250 salariés, confirmait également une embellie de la situation des PME, avec des carnets de commande à la hausse pour le premier semestre 2016.

Pourtant, face à cette reprise, même modeste, qui semblait enfin se dessiner, l’horizon des marchés financiers s’est brutalement assombri, avec une confiance dans l’économie mondiale ébranlée. S’agit-il d’une correction salutaire, après une envolée boursière excessive ? Pas seulement, une étude présentée à Davos par PwC, montrait que deux tiers des 1.400 patrons de grands groupes estimaient (avant la baisse des marchés boursiers de début 2016) que leur entreprise devait faire face à davantage de menaces que ces trois dernières années. Depuis, les risques mondiaux et européens sur la reprise semblent s’accentuer, concrétisés par de légères revues à la baisse des prévisions de croissance économique de la part du FMI et de la Commission européenne. Pour autant, « la fragile reprise économique en Europe poursuit aujourd’hui son chemin », insiste Bruxelles.

L’Indice Investissements Palatine-Opinion Way de février 2016, réalisé auprès d’un échantillon de 303 dirigeants d’entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 15 et 500 M€ de chiffre d’affaires, est en baisse à 109 points, après avoir atteint son plus haut niveau (116) début janvier 2016. Quelles conséquences de ce récent recul des niveaux de confiance  pour le directeur financier qui doit gérer des liquidités abondantes dans un contexte de montée des risques  géopolitiques, économiques et financiers incitant à la prudence ?

La première réaction semble avoir été la traduction de cette dégradation de perspectives dans les comptes 2015 et dans la communication financière qui accompagne cette présentation aux investisseurs. Beaucoup n’ont pas hésité à prendre les devants en dépréciant certains actifs, incorporels notamment, et en constituant des provisions pour risques. Ils se sont logiquement montrés plus circonspects sur leurs perspectives de développement et  de rentabilité, avec parfois l’annonce de plans de réorganisation interne ou de transformation. La propension à investir et à recruter est souvent en retrait par rapport aux prévisions de fin d’année, même si les dirigeants restent globalement plus confiants dans leur entreprise que dans l’économie nationale et mondiale.

Face à une crise structurelle de rentabilité dans un monde qui change, les aspects stratégiques reviennent au premier plan. Faut-il constituer des réserves de précaution et jouer les gains de productivité et l’opportunisme ? Ou remettre en cause son modèle en innovant et en réinventant son métier ? Ou consolider son marché en le phagocytant à son avantage. En tout état de cause, le statu quo n’est plus une option possible