Gouvernance internationale des IFRS et nationale des US GAAP
Depuis la signature en 2002 du mémorandum de Norwalk (CT) entre les deux boards (IASB et FASB) et les efforts de convergence qui ont suivi (dont l’étape la plus remarquée a été en 2007 l’autorisation donnée par la S.E.C. aux sociétés cotées aux USA d’être dispensées de réconciliation avec les US GAAP ), les critiques à l’encontre des IFRS émises par différents acteurs américains ( staff de la S.E.C. , universitaires , journalistes, experts-comptables, etc.) sont allées crescendo au fur et à mesure que s’approchait l’échéance de l’acceptation des IFRS aux USA (on a même parlé un moment de la disparition des US GAAP…).
Parmi les critiques les plus souvent entendues, on pouvait noter les points suivants : manque d’indépendance de l’IASB, manque « d’accountability » (responsabilité devant une instance supérieure), manque de « force » (robustness), etc.
Au-delà des différences de traitement comptable traitant des mêmes questions (qui ne sont pas l’objet de la présente note), ces critiques sont-elles justifiées ?
-I- Fonctionnement des deux organisations
1) Le F.A.S.B. (Financial American Standard Board) américain (fondé en1973) est un organisme de droit privé a qui le pouvoir politique (représenté par la Security Exchange Commission (S.E.C.), régulateur boursier créé en 1934 pour mettre de l’ordre dans les transactions boursières (premier Président : Joseph Kennedy), a délégué la responsabilité de la normalisation comptable.
Ce n’est pas une administration publique, même si il est sous le contrôle politique de la S.E.C, dont le choix du Directeur/trice appartient au Président des États-Unis, mais soumis à l’approbation du Senat.
La capacité du FASB à rester le normalisateur comptable américain est conditionnée au fait qu’il travaille dans « l’intérêt public », terme utilisé pour la première fois par T.Roosevelt lors d’une grève dure des mineurs de Virginie en 1902, ou il avait joué le rôle d’intermédiaire agissant précisément « dans l’intérêt public ».
Sa mission est « d’établir d’améliorer les standards comptables et de reporting pour guider et éduquer le public, incluant les émetteurs, les auditeurs et les utilisateurs de l’information financière ».
Le F.A.S.B. travaille sous la supervision de la « Financial Accounting Foundation », qui nomme les 7 membres du F.A.S.B., tous américains pur sucre.
2) L’I.A.S.B. (international Accounting Standard Board), est organisé sous l’ombrelle de la Fondation IFRS (IFRS foundation), fondation de droit prive régie selon la loi du Delaware le 8 mars 2001. La constitution de l’IASB (base à Londres) a immédiatement suivi, le premier avril 2001. Il remplaçait en fait l’I.A.S.C., créé en 1973 à Londres par un groupe de comptables et d’auditeurs (dont plusieurs américains) qui avaient pensé qu’à la suite du scandale des caisses d’épargne américaines, les US GAAP ne présentaient peut-être pas toutes les garanties de qualité comptable.
L’I.A.S.B. voit ses membres (16 membres internationaux, dont 3 au maximum à temps partiel) choisis et supervises par les 22 Trustees de la fondation IFRS, fondation qui par ailleurs a pour mission de lever des fonds pour faire fonctionner l’ IASB et des organisations ancillaires (cf. infra).
Suite aux critiques formulées principalement par les américains pour « défaut de gouvernance » et de responsabilité, il a été ajoute un niveau supplémentaire de contrôle et de gouvernance via le « Monitoring Board », décision prise les 15 et 16 Janvier 2009 par les trustees de la fondation IFRS.
Important : Le Monitoring Board est consulté quand les « trustees » choisissent un nouveau membre, mais ces derniers ne sont pas tenus par son avis.
Le but était de renforcer et donner un caractère public à cette supervision, créant ainsi un lien organique avec les autorités publiques responsables du bon fonctionnement des marchés financiers, et d’éviter en quelque sorte une endogamie préjudiciable a la qualité des normes IFRS.
Le « Monitoring Board » est composé a l’heure actuelle des institutions suivantes :
a) La Commission européenne (à défaut d’une reconnaissance encore insuffisante de l’ E.S.M.A. ?)
b) La F.S.A.japonaise (équivalent de la S.E.C. américaine ou de l’ A.M.F. française) .
c) La S.E.C. américaine.
d) Le comité des marches émergents de I.O.S.C.O. (International Organization of Securities Commission)
e) Le comité technique du même I.O.S.C.O.
En sus des organismes nommes ci-dessus et de la différence de compositions dans la nationalité de ses membres, les deux organismes ont un mode de fonctionnement assez proche : « due process » pour sélectionner les sujets à traiter et pour procéder aux appels aux commentaires et utilisation d’organismes auxiliaires : E.I.T.F. (Emergency Issues Task Force) aux USA pour traiter les sujets urgents, « I.F.R.S. Interpretation Committee »(1) de 14 membres à Londres pour interpréter les normes en cas de nécessité.
Les deux organismes ont adopté un cadre conceptuel (« framework ») qui leur est propre, et ont chacun une présentation spécifique de leurs normes : par nature de sujet traité pour les IAS, chronologique pour les IFRS, « vraie »codification entièrement refondue le premier Juillet 2009 pour les US GAAP.
Le cadre conceptuel a fait l’objet d’un projet de développement commun, ayant abouti en 2010 à la révision commune de 2 chapitres portant sur les objectifs et sur les caractéristiques qualitatives de l’information financière. Les phases suivantes du projet n’ont pas été poursuivies, suite à l’arrêt des travaux de convergence.
(1) Qui, en sus des sujets urgents, apporte des interprétations pour faciliter l’application des normes.
I- Les tentatives de rapprochement et de convergence
1) Rappel historique : après le « Memorandum of Understanding » {M.O.U. )signé le18 Septembre 2002 a Norwalk (CT) entre les deux organisations, renouvelé quelques années plus tard, le point de non-retour a semblé être atteint le16 Novembre 2007, lorsque la S.E.C., a l’issue d’un meeting public, annonçait qu’elle supprimait l’obligation de réconciliation entre les US GAAP et les IFRS (sans carve-out) pour les sociétés cotées aux USA. Cette décision était par ailleurs présentée par la S.E.C. comme une première étape vers la convergence.
Depuis , et au fur et à mesure que se rapprochait l’échéance d’ un éventuel alignement des US GAAP sur les IFRS (en gardant toutefois l’appellation US GAAP pour des raisons de relations avec le droit des sociétés et le droit pénal américain), les interrogations du cote américain se sont faites de plus en plus nombreuses , invoquant tour à tour le manque de «solidité »des normes IFRS , l’indépendance de la fondation IFRS (la réponse donnée ayant été la création du Monitoring Board) et son manque de capacité « d’enforcement », comme on a vu en bénéficier la S.E.C quand elle a envoyé en prison devant les caméras du monde entier le Directeur General d’ Enron et son Directeur financier.
Il est intéressant de noter qu’à une certaine époque (1993-2001), le Président de la S.E.C. Arthur LEVITT était par ailleurs un chaud partisan de normes comptables mondiales.
Paradoxalement, c’est après la nomination par Barak Obama (juge plus « internationaliste » que son prédécesseur) à la tête de la S.E.C. de Mary Shapiro en Janvier 2009, que le processus s’est fortement ralenti. À son crédit, on serait tente de signaler qu’elle s’était trouvée dans l’obligation de traduire en règlements de la S.E.C. l’énorme loi Dodd-Frank (suite à la crise financière)
2) Ou en sommes nous aujourd’hui ?
Apres la publication en janvier 2008 d’IFRS 3 révise (et de son homologue identique US SFAS 141), de la véritable réussite de de convergence d’IFRS 8 (Information sectorielle) et de la publication des produits communs que sont IFRS 10 et 11, les deux organismes ont travaillé sur des projets communs, dont le plus connu est celui sur le revenu (IFRS 15 ?), qui devrait être publié au cours du deuxième trimestre 2014. Les trois autres projets communs en cours les plus importants étant composes des contrats de location, des contrats d’assurance et des instruments financiers.
Le F.A.S.B. reconnaît d’ailleurs sans difficulté l’importance de ces travaux en commun, le F.A.F. (cf. supra), ayant annoncé le 28 Janvier 2014 le versement ponctuel de 3 millions de dollars pour soutenir l’achèvement des quatre projets cites plus haut.
Mais ces quatre projets en cours de finalisation(2) s’apparentent plus à un « chant du cygne » qu’a une nouvelle étape vers la convergence des deux référentiels…
Par ailleurs, le F.A.S.B. a décidé de ne pas suivre les propositions de l’IASB liées à l’évaluation du « business model », ce qui marque la fin (du moins pour l’instant) de la convergence avec l’IASB sur la classification et l’évaluation des actifs financiers.
(2) À modérer, assurances et Instruments financiers n’étant pas vraiment des modèles de convergence.
Sur les locations, le FASB et l’IASB ont redémarré en Janvier 2014 leurs discussions sur le projet « locations », mais les divergences restent importantes …
En effet, les deux boards sont d’accord sur un modèle dual pour les bailleurs, mais en désaccord pour la comptabilité des preneurs : modèle dual type IAS 17 pour le FASB, modèle unique pour l’IASB, et le projet avance très lentement, encore plus que sur la reconnaissance du revenu.
Bref, la convergence semble bien morte… d’ailleurs, l’heure est à la « comparabilité » et a la « cohérence ».
Conclusion : comment expliquer tout cela ?
Il serait présomptueux de dire, voire de tenter de prouver qu’un référentiel est supérieur a l’autre, en dépit des affirmations américaines selon lesquelles les IFRS sont « inadaptés a la structure de l’économie et de son système bancaire », à l’heure où les contrats commerciaux (ex : offres commerciales groupées, contrats informatiques et de téléphonie) et les instruments financiers ( ex : dérivés incorpores) sont quasi-identiques sur toute la planète finance.
La position du FASB, « droit dans ses bottes », et gardien des US GAAP, s’explique, selon nous, par un tropisme nationaliste et par un fort ressenti américain du manque d’« enforcement » des IFRS, un gouvernement comptable mondial capable d’envoyer des fraudeurs comptables en prison (d’ailleurs, laquelle ?) étant très loin d’exister a l’heure actuelle.
Il est à noter le caractère éminemment contestable de cet argument :
Le manque d’ « enforcement » des IFRS est un faux prétexte, car l’IASB n’a que le pouvoir de proposer des normes aux autorités qui acceptent de les adopter, et qui sont, par conséquent, en charge de les faire appliquer.
La S.E.C. américaine, si d’aventure les IFRS remplaçaient les US GAAP, pourrait faire appliquer les IFRS aux États-Unis avec le même pouvoir qu’elle a sur les US GAAP. A contrario, les US GAAP sont souvent mal « enforcés » hors des États Unis, car la SEC n’y a pas de pouvoir d’ « enforcement ».
Cet argument est donc spécieux et relève de la mauvaise foi ou de la confusion mentale : l’ « enforcement » et la normalisation sont deux choses différentes.
N’oublions pas que les 7 membres du FASB sont tous américains (alors que les membres de l’ IASB sont multinationaux) , et que lorsque de nouveaux pays se posent la question de leur standard de consolidation et de cotation , ils choisissent toujours les IFRS , pour des raisons d’ indépendance culturelle vis-à-vis des USA : Chine, Inde, Brésil, Russie, Canada, etc. et ce même s’ils commencent par passer par une étape intermédiaire d’une couleur plus « nationale », comme l’a fait naguère l’Union Européenne….
Le blocage actuel est donc bien politique et non technique.