Contrainte par les critères de convergence et sous la pression des agences de notation, la commission Juppé-Rocard a du concilier deux logiques irréconciliables : la logique politique et la logique financière.

Le politique souhaitait envoyer un message clair aux Français en affirmant la confiance de l’Etat dans la capacité des entreprises nationales à relever le défi du remboursement d’une dette très importante par la création de valeur qui sera dégagée des investissements qu’elle supportera.

La logique financière faisait remarquer que la meilleure, ou la moins mauvaise, des dettes publiques est celle qui coûte le moins cher. Sur ce point, il n’est pas besoin de rappeler qu’il existe un lien assez fort entre le coût de la dette, le rapport de la dette au PIB, l’accroissement des déficits budgétaires induits par les remboursements d’emprunt et la notation des agences qui en découle.

L’orthodoxie financière a finalement pris le pas sur la volonté politique. Le Grand emprunt a été réduit à 35 milliards d’euros. Pour éviter tout problème technique de placement, cet emprunt sera souscrit exclusivement auprès des marchés et non du public. Mais n’y a-t-il pas d’autres options ?

Pour réconcilier ces deux logiques, sans accroître la dette publique, n’était-il pas possible, en complément de la dette, de lever des capitaux auprès du public en lançant un Fonds National d’Investissement Populaire ?

S’il est certes prévu de consacrer 2 milliards d’euros à la création d’un ou plusieurs fonds d’amorçage à vocation transversale pour accompagner la création et soutenir les premières années d’existence de PME innovantes et des entreprises de tailles intermédiaires (jusqu’à 5 000 salariés), ce montant est à relativiser au regard des besoins. A titre de comparaison, trois fonds californiens, KPCB, Khosla Ventures et VantagePoint Venture Partners ont a eux seuls dédié plus de 3 milliards de dollars sur le seul secteur des technologies vertes. De plus, rien n’indique à ce jour que cette manne publique ne sera pas captée par les filiales de nos champions nationaux qui sont déjà en première ligne pour mettre en avant leurs immenses besoins.

 

Se sont déjà prononcés sur le sujet, Gilles Vermot Desroches, vice-président de Schneider Electric SA, qui s’est positionné en déclarant que « nous ne pouvons pas manquer le train des industries renouvelables », Jean-Marc Sarret de Peugeot, qui propose le développement de véhicules hybrides mixtes rechargeables essence-électricité. Louis Gallois, patron d’EADS, n’imagine pas que les industries de l’aéronautique de la défense et de l’espace ne bénéficient pas de cet emprunt. Jean-Paul Herteman de Safran estime même à 2 milliards le montant de l’aide nécessaire pour financer le développement des avions, fusées et hélicoptères de demain. Christian Lajoux, président de Sanofi-Aventis SA, chiffre pour sa part à 3 milliards le montant du support nécessaire pour développer l’industrie des biotechnologies et améliorer la coopération entre la recherche publique et privée.
L’enjeu est important car il n’est plus à démontrer que les PME créent sensiblement plus d’emplois en France que les champions nationaux. Leur potentiel de développement est considérable, mais elles manquent cruellement de la masse critique de financement nécessaire pour assurer ce développement tant en France que sur les principaux marchés porteurs de demain.

Partant de cette idée, il reste à convaincre les épargnants français qu’en souscrivant à un fonds de capital dédié aux seules PME, les citoyens recevraient une rémunération de leur épargne supérieure aux autres produits d’épargne tout en étant directement associés à l’effort de modernisation de l’économie.

L’idée part d’un constat simple : beaucoup d’entreprises françaises sont sous-capitalisées et, de ce fait, ont des difficultés pour obtenir du crédit. Par leur apport en capital, les interventions du fonds auront donc un effet multiplicateur en permettant aux entreprises bénéficiaires d’avoir plus facilement accès au crédit bancaire. Ceci est particulièrement vrai pour nombre d’entreprises françaises industrielles, cycliques ou à forte intensité capitalistique, qui n’entrent généralement pas dans la cible des fonds classiques de « private equity ».

Un tel Fonds d’Investissement Populaire, pourrait ainsi répondre efficacement aux situations détectées par la Médiation du Crédit aux Entreprises. Il pourrait aussi co-investir aux côtés d’autres acteurs comme OSEO, le FSI et les fonds régionaux. Il pourrait également réduire l’expatriation de talents en permettant à des projets innovants de lever la masse critique de capital nécessaire à leur développement. Il pourrait enfin compléter des actions publiques de soutien à des filières industrielles dans des domaines porteurs d’avenir.

Ainsi, sans peser sur le budget de l’Etat, et sans accroître la dette publique, le fonds pourrait réaliser des investissements utiles à l’économie pour le plus grand profit des souscripteurs.

Ceux-ci pourraient être naturellement attirés par quelques avantages fiscaux à effet différé, comme l’absence d’impôts sur les plus-values, et plus encore par l’idée de gagner de l’argent en participant au développement de leur pays sans être une charge future pour leurs enfants. L’épargne française est à peu près inépuisable, on dit que le stock d’or détenu par les ménages français doit se situer autour de 3 000 tonnes soit plus de 100 milliards au cours actuel. Il y a un peu moins d’un siècle nos grands-parents souscrivaient avec enthousiasme aux emprunts de la Défense Nationale. Aujourd’hui, pourquoi leurs descendants ne souscriraient-il pas, avec plus d’enthousiasme encore, à un fonds de modernisation de l’économie française ?

Jean-François Casanova, membre du Comité de rédaction de la revue Echanges