Voici la situation, racontée en peu de mots : les taux d’intérêt sont au plus bas et pourtant l’investissement ne redémarre pas véritablement, si ce n’est, pour l’Europe, un petit blip en cette mi-année 2016. Et en voici une explication (même si elle est autant effet que cause de la situation) : les taux d’emprunt baissent, mais le coût du capital pour les entreprises, celui qui commande en grande partie l’investissement des entreprises, notamment en comparaison avec la rentabilité de l’investissement, ne baisse toujours pas. Les alternatives semblent encore préférables :

  • Rendre d’argent aux actionnaires, sous forme de dividendes ou de rachats d’action,
  • Faire des opérations de rachat d’entreprise, via le M&A (car n’oublions jamais, l’achat en cash d’une entreprise est une autre façon de rendre l’argent aux actionnaires),
  • Se désendetter, ce qui consiste à rendre l’argent au banquier, voire même stocker du cash, ce qui consiste à être soi-même banquier.

Mettons tout ça en graphiques à présent.

Le premier est bien connu. Il raconte l’histoire récente des taux d’intérêt (corrigés de l’inflation), celle d’une chute tendancielle depuis une génération. Il est tiré d’une remarquable étude de deux économistes de la Banque d’Angleterre, Rachel Lukasz et Thomas Smith (2015), à lire absolument.

 

Graphique 1 : Taux d’intérêt réel (ensemble des pays avancés) depuis 1990

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Cette tendance disqualifie l’idée que les taux d’intérêt sont bas parce que telle est la volonté des banques centrales : la réalité est que les taux bas s’imposent aux banquiers centraux, c’est un fait lourd de nos économies modernes, que certains relient à des gains moins rapides en matière d’innovations et de productivité ; d’autres à une situation d’excédent structurel de l’épargne et d’aversion croissante au risque.

Malheureusement pour l’investissement, le coût du capital, ce n’est pas seulement le coût de la dette, c’est aussi le coût des fonds propres. Or, ce qui est gagné par le taux sans risque semble reperdu par la prime de risque du marché action. À l’appui de cette thèse, le graphique 2. Il provient du rapport « Le financement de l’investissement des entreprises » remis par Villeroy de Galhau en septembre 2015, à partir de données calculées par l’OCDE. Il met bien en regard la baisse des taux d’intérêt et la montée du coût du capital (en bleu les États-Unis, en noir l’Europe).

 

Graphique 2 : Taux d’intérêt et coût du capital

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On peut aller plus loin et comparer le coût du capital au rendement de l’investissement, dit encore ROCE. C’est le rôle du graphique 3 tiré du Vernimmen 2016. Établi sur la période 1995-15, il fait figurer – trait épais – la rentabilité économique des grands groupes européens cotés (c’est-à-dire le ROCE, résultat d’exploitation rapporté à la valeur au bilan de leur actif économique) ; et – trait fin – le coût du capital.

 

Graphique 3 : Rentabilité économique et coût du capital

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Source : Vernimmen 2016, p. 615.

 

Trois choses sont à relever :

  • Le coût du capital est assez stable avec un très léger déclin tendanciel, sans commune mesure toutefois avec la baisse du coût de la dette,
  • La rentabilité économique est plus volatile, marquée par les cycles conjoncturels, mais au total stable en niveau.
  • On note que la bourse monte lorsque l’écart entre le ROCE et le coût du capital, qu’on peut appeler l’écart de création de valeur, est fort.

Dans son rapport de 2015 (OECD Business and Finance Outlook 2015), l’OCDE a des chiffres encore plus sévères (à ce point d’ailleurs qu’ils sont sujet à caution, de l’humble point de vue de Vox-Fi, qui de plus déplore vivement que les rapports de l’OCDE soient payants, alors que cette institution est payée par les sous des contribuables !). L’OCDE calcule elle aussi l’écart de création de valeur. En voici le graphique, pour les 4 zones géographiques que sont les États-Unis, l’Europe, le Japon et les pays émergents, et en distinguant le secteur des infrastructures et l’industrie en général. L’écart est négatif en Europe, ce qui, selon cette explication simple, n’incite pas à investir.

 

Graphique 4 : L’écart de création de valeur (ROCE moins coût du capital) selon l’OCDE

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Quel est le phénomène à l’œuvre ? Ce n’est pas tant la rentabilité des entreprises, qui reste élevée, qui est en cause, que le niveau toujours très élevé du coût du capital et donc, plus encore, le niveau croissant du coût des fonds propres. Pour désigner en un mot le coupable : l’aversion au risque, dans une période marquée par de nombreuses incertitudes économiques et politiques, où l’investissement n’est plus comme autrefois un investissement de capacité mais un investissement d’innovation, et donc plus difficile à entreprendre, parce qu’il faut pour cela des entrepreneurs et non de simples « grands managers », surpayés au demeurant. À suivre.