Un état des lieux tout d’abord !

Après un accord de l’Eurogroupe, les émissions grecques de la semaine devraient se placer à un taux proche de 6,7% soit environ 100 bp de moins que les taux de marché constatés avant l’annonce de « l’accord » entre Européens. Il reste donc aux Grecs à emprunter 35 Md€ en 2010 et 50 Md€ en 2011.

Qu’ont promis les Européens ? Par le biais d’accord bilatéraux, de mettre à disposition du Trésor grec une ligne de crédit appelable à tout moment pour un montant maximum de 30 Md€ à un taux de 5% pour des maturités de 3-5 ans. Chacun contribuera au prorata de sa part dans l’actionnariat de la BCE soit 8 Md€ pour l’Allemagne, 6,5 pour la France, 5,5, etc. Deux conditions d’activation de la ligne doivent être réunies : une demande officielle du gouvernement grec et l’accord unanime des prêteurs. Les paramètres macro-économiques cibles fixés par les Européens semblent au rendez-vous.
De son côté le FMI annonce une capacité de prêt de 80 Md€ (soit les besoins de refinancement grec pour 2010 et 2011)… au taux de 3,5 % pour une maturité de 3 à 5 ans équivalente à cet égard à l’offre européenne.. A ceci près que les efforts économiques – à date – des Grecs sont encore jugés insuffisants par les experts du Fonds.
Que peuvent alors faire le gouvernement grec et les marchés ?

Le Trésor grec ne demande pas pour l’instant d’assistance particulière, ce qui ne l’a pas empêché de placer, le 13 avril 1,56 Md€ de bons sur les marchés. La première ligne de 780 M€ sur un an a trouvé un rendement de 4,85%, celle du même montant sur 6 mois est partie à 4,55%. A l’origine, la Grèce prévoyait de placer 600 millions sur chaque maturité. Le risque de défaut ayant été écarté, les investisseurs ont répondu présent à cette première émission depuis la publication des détails du plan d’aide européen à Athènes. Le ratio de couverture est de 6,5 fois contre 3,05 pour la précédente sollicitation en janvier, ce qui a permis à Athènes d’augmenter de 30 % son allocation. La Grèce paye tout de même le prix fort : lors de l’émission précédente, elle s’était financée à 2,20 % sur un an et à 1,38% sur 6 mois.
Certes, la prime de risque reste élevée mais il s’agit d’emprunt à court terme – 6 mois et un an – ce qui ne grèvera pas sensiblement le budget grec et lui permettra d’attendre que les esprits se calment.

Côté prêteurs institutionnels, la situation est en revanche plus délicate. Tant que les élections allemandes de début mai n’auront pas eu lieu, les prêts bilatéraux ne seront pas autorisés. Une possibilité existe au-delà de cette date mais rien n’est moins sûr si la chancelière est fortement désavouée par ses électeurs. D’autant moins certain que Mme MERKEL se refuse à subventionner les Grecs. Or un taux de 5% restant inférieur au taux de marché, il s’agit donc bien d’une subvention au Trésor grec.

En supposant ce point résolu, les pays signataires devront emprunter, à un taux a priori inférieur à 5%, les fonds pour les reprêter ensuite à la Grèce à 5%, ce qui a permis au premier ministre espagnol de se féliciter que l’opération lui « rapporterait de l’argent ». Enfin, le « free lunch » serait offert à l’Europe par les investisseurs institutionnels ? Voire ! En réalité, le Trésor espagnol gagnerait cette marge au prix d’une prise de risque sur l’état grec . Rappelons nous que les acheteurs de subprime avaient été persuadés par les banques d’investissement américaines que les CDO pouvaient rapporter « Treasuries + 200 bp » pour un risque « équivalent » à celui du Trésor US !

Deuxièmement, les marchés ont une idée assez précise du montant qu’ils peuvent allouer à chaque pays européens et du taux attendus. Ce qui sera donc levé pour la Grèce diminuera l’enveloppe disponible pour les besoins propres des pays de la zone euro. Il est alors loisible de penser que, si les marchés sont efficients (hypothèse certes critiquable en ce moment mais enfin… !), les taux de refinancement des prêteurs nationaux augmenteront. Dans le cas d’espèce, l’Espagne, ou Portugal, pourraient être conduits à emprunter plus cher que 5% avant de prêter aux Grecs à 5%. Il y aurait alors subvention ET coût direct pour les contribuables espagnols etc. On peut s’interroger sur la longévité de cet accord de soutien.

Troisième considération, si les Grecs actionnent la facilité européenne plutôt que la ligne du FMI à 3%, c’est que les conditions fixées par l’Eurogroupe seront moins strictes que celles exigées par le FMI. Il y aurait donc arbitrage de conditions entre Europe et FMI.

Sinon, les Grecs emprunteraient leurs besoins au FMI à 3,5% sans implication de l’Europe, éventualité politiquement impossible à considérer par les gouvernants européens ! Si tel est le cas, on peut penser que les Grecs n’auraient pas fait des efforts suffisants pour être en capacité de rembourser au moins une partie de sa dette. Les pouvoirs de créanciers nationaux à cet égard seraient politiquement réduits ! En langage de marché cela s’appelle « être collé » avec du papier grec.

Récapitulons.

– Les Grecs testent le marché directement. Solution privilégiée par tous…aussi longtemps que cela dure !

– Puis ils tirent le cas échéant (et si les membres de la zone euro en sont unanimement d’accord), sur la facilité européenne sans avoir pris les mesures nécessaires, selon les standards du FMI, à un remboursement en bonne et due forme. Car les mesures étaient suffisantes, les grecs emprunteraient au FMI à un taux inférieur au 5% du consortium européen. On voit d’ici la réaction des opinions publiques européennes en cas de défaut sur la dette grecque…et celles de la population grecque si un nouveau plan de rigueur devenait nécessaire !

– Enfin, ils utilisent les facilités du FMI, contre un renforcement des efforts budgétaires, pour profiter de taux attractif, ou parce qu’ils essuient un refus allemand, et l’Europe paraitra sortie du jeu. Alors que si le FMI avait été seul à traiter cette situation, l’Europe en aurait été mieux perçue (lire un post récent sur l’Europe et le bouc-émissaire).

– Ou, pire, les Grecs passent directement par la case « FMI » et l’Europe en sortirait humiliée.

Le gouvernement grec se retrouve maintenant du côté du manche après avoir astucieusement négocié, ce n’est pas son moindre mérite après tant d’effort.

Cela rappelle l’histoire du financier qui s’était jeté du dernier étage de son immeuble et qui criait à chaque étage : « jusqu’ici tout va bien ! ».