La presse de la semaine dernière a annoncé urbi et orbi la grande nouvelle : les sociétés du CAC 40 devraient verser environ 40 milliards d’euros de dividende en 2011, au titre de l’exercice 2010.
Comme à chaque fois que l’on parle de dividendes, les passions s’enflamment : « les actionnaires peuvent avoir le sourire » (Les Echos du 7 janvier), on frise l’indécence en cette période d’austérité, l’actionnaire, ennemi du salarié, etc. (la presse en général).
Un tel ostracisme ne semble pas très raisonnable, au moins pour quatre (bonnes) raisons :
1. Ne citer que des chiffres en valeur absolue marque facilement les esprits, mais c’est un peu vite oublier que ces dividendes représentent environ 45% (taux de distribution du CAC 40) d’un bénéfice consolidé mondial, et que ces 40 milliards seraient à rapprocher des actionnaires français et étrangers qui possèdent les dites actions. Et que l’on ne vienne pas regretter l’absence criante d’actionnaires français au sein du CAC 40 (possédé à environ 40% par des non-résidents) ; nous récoltons les fruits de notre frilosité actionnariale proverbiale : en dehors du livret A, point de salut !
2. Se focaliser sur une distribution sans rappeler son caractère aléatoire est intellectuellement malhonnête : chacun sait bien que la perception de dividendes n’a aucun caractère d’automaticité et que la distribution de dividendes à fort rendement peut parfaitement aller de pair avec une baisse du cours, ce qui peut bien sûr effacer (et au-delà !) l’impact apparemment favorable de la distribution. Ainsi par exemple France Télécom et Pages Jaunes (respectivement 9% et 8,8% de rendement attendus en 2010), ont vu leur cours baisser pendant l’année de 10,5% et 12,8%.
3. Ce chiffre mythique de 40 milliards (prévu à 43 milliards au titre de 2011) est toujours présenté comme profitant à quelques « gros actionnaires » (forcément portant haut de forme et fumant cigare…). Difficile de se faire une idée de l’actionnaire moyen ou médian vu l’extrême disparité des portefeuilles (détenus par des particuliers ou les « zinzins »), mais si l’on examine un instant le profil actionnarial du capital de la société du CAC 40 où les actionnaires individuels représentent la plus grande partie du capital (38% du capital chez Air liquide avec ses 410 000 actionnaires individuels ), on découvre que le portefeuille moyen de l’actionnaire individuel n’y est que de… 210 actions , soit au cours du 31/12/2009 , de 17 436 € (il aura quand même augmenté de 11,7% par an en 20 ans, dividendes réinvestis, prime de fidélité et actions gratuites comprises), ce qui est à peine plus élevé que les 15 300 € du plafond de l’épargne du livret A, exonérée d’ IRPP.

4. Cette dernière remarque nous mène tout droit aux considérations fiscales : les revenus du capital (dont les dividendes apparaissent comme le porte-étendard emblématique, avant les loyers ) sont déjà bien taxé dans notre beau pays : prélèvements sociaux à hauteur de 12,1% en 2010 (12,3% en 2011, et ce pourcentage ne fait que s’accroître régulièrement depuis 10 ans) , puis IRPP sur la tranche concernée.
N’est-il d’ailleurs pas surprenant que l’on parle d’épargne (forcément « populaire ») jusqu’à 15 300 € (plafond du livret A) et de capital (forcément diabolisé) au-delà ?
En conclusion, on peut dire que ces 40 milliards (dont les deux tiers sont distribués par 9 groupes sur 40) sont victimes du désamour par nos compatriotes de l’entreprise en général et de la rémunération de ceux qui la financent en particulier (en prenant, en plus, le risque de perdre le capital investi : l’actionnaire n’arrive-t-il pas en deuxième place dans la liste des « adversaires de classe », derrière le patron, mais avant le propriétaire foncier ?
Ceux qui fustigent ces fameux 40 milliards de dividendes (qui génèrent à eux tous seuls autant de prélèvements sociaux que d’ISF), lesquels correspondent à 90 milliards de résultats, préféreraient-ils 90 milliards de pertes ?