Haut de gamme – bas de gamme : en finir avec les mythes de la réindustrialisation ?
A l’approche des élections présidentielles de 2017, la question de l’avenir de l’industrie en France ressurgit avec force dans le débat public. Quelles que soient les opinions politiques des candidats déclarés, il existe un relatif consensus sur la nécessité de réindustrialiser le pays et les solutions prônées sont généralement les mêmes : abaissement des charges sociales sur les bas salaires et nécessaire repositionnement de l’industrie française sur le haut de gamme.
La montée en gamme, un faux remède à la désindustrialisation
La montée en gamme est présentée comme le Prométhée de l’industrie française, or, il est rare qu’il en soit donné une définition claire, si bien qu’elle ressemble plus à une Arlésienne qu’à un sauveur. Elle peut être définie comme le fait de produire des biens plus performants et de meilleure qualité. Selon les études de Natixis[1] et de l’OFCE[2], l’industrie française serait trop positionnée sur la fabrication de biens bas et moyen de gamme, ce qui nuirait à sa compétitivité en raison du poids des salaires trop important dans le coût de production. Autrement dit la France aurait le même positionnement marché que des pays comme l’Espagne mais avec des coûts de production supérieurs de 20 %[3]. Si l’on ne peut pas nier l’impact du coût du travail dans la compétitivité des fabrications, il faut tout de même relativiser la question de la nécessaire montée en gamme. Au regard de la composition du tissu industriel français, la réflexion en termes de positionnement en gamme ne semble pas la plus opportune puisqu’une majorité des biens produits sont des composants ou des sous-ensembles et peu sont des produits finis.
Les produits haut de gamme s’adressent généralement à des consommateurs aisés, ce qui induit des marchés restreints et des coûts de production souvent plus élevés puisque les volumes de production sont plus faibles. La production de ces biens ne garantit pas plus que pour les biens moyens de gamme qu’ils seront produits en France. La pénétration des marchés haut de gamme nécessite des efforts marketing importants face à des concurrents bien implantés avec une image de marque forte et reconnue.
Miser sur la différenciation plutôt que sur la montée en gamme
La différenciation d’un produit peut se faire soit par les services qui y sont associés (after market, réduction des délais de livraison ou de mise sur le marché, etc.), soit par l’innovation technologique qu’il offre (conditionnée par un investissement important en R&D), soit par un prix attractif.
Les services associés aux produits peuvent être de natures différentes. Par exemple, la société KAPSYS, située à Nice (06) a confié sa production de smartphones pour malvoyants et seniors à un sous-traitant français, BMS Circuits[4], alors qu’auparavant sa production était réalisée en Chine. Ce choix a été motivé par sa volonté d’offrir des prestations de maintenance au plus proche de ses clients, et ce même si les coûts de fabrication sont plus élevés de 5 %. De grandes sociétés de l’électronique font également le choix de sous-traitants français si ceux-ci sont capables d’offrir des prestations de diagnostic et de maintenance rapides et de qualité. A prestations prix (imposé par le marché), qualité et ponctualité de livraison identiques, la société capable de réduire son temps de fabrication – en gérant mieux ses flux – aura un avantage compétitif indéniable par rapport à ses concurrents. Dans certains cas, une intégration verticale peut contribuer à améliorer les délais de mise sur le marché.
Chaque société a la capacité de fabriquer des produits finis ou des composants qui peuvent être innovants, soit par les fonctionnalités produits qu’ils offrent, soit par une rupture technologique. Sauf exceptions, cela demande un investissement important en R&D, mais surtout une volonté du management de se démarquer et d’anticiper les évolutions du marché et les besoins des clients. Force est de constater que trop peu d’entreprises industrielles françaises investissent suffisamment dans l’innovation aujourd’hui.
L’innovation nécessitant des moyens, il est fondamental de maîtriser ses coûts de production afin de dégager les marges suffisantes pour investir dans la R&D. Cette maîtrise des coûts passe par l’optimisation des moyens de production (automatisation, robotisation et mise sous contrôle des paramètres de fabrication influents), par l’amélioration de la productivité main d’œuvre (développement de la polyvalence et des compétences, amélioration de la motivation et mise en œuvre de la flexibilisation du temps de travail). Ainsi, au début des années 2000, un fabricant français majeur d’articles ménagers grand public a rapatrié en France le conditionnement de ses produits en augmentant suffisamment la productivité des lignes de conditionnement pour contrebalancer le différentiel de coût salarial avec le pays d’Europe de l’Est dans lequel le conditionnement était réalisé. La réduction des coûts de production peut également s’opérer par un positionnement en amont de la chaîne de valeur en s’intégrant dans un processus de co-conception avec les bureaux d’étude des clients, pour que ceux-ci dessinent des pièces adaptées aux moyens de fabrication.
Une réindustrialisation déterminée plus par l’action des entreprises que par celle de l’Etat
Il est courant dans le débat public de faire peser l’avenir de l’industrie française sur les épaules de l’Etat qui est « l’ennemi commun mais aussi l’allié de tous[5] ». De nombreux dirigeants d’entreprises imputent leurs difficultés d’abord à l’Etat, alors que de nombreuses entreprises en difficulté le sont souvent pour des raisons internes : mauvaise maîtrise des coûts et de la masse salariale, rupture entre la direction et la base, manque d’anticipation des évolutions des marchés, frilosité des managers dans la prise de risques. Le principal rôle de l’Etat est d’offrir un environnement juridique stable dans lequel les entreprises peuvent se projeter sur le long terme. De plus, l’économie actuelle est caractérisée par une concentration constante des capitaux dans des actifs non productifs (propre d’une crise déflationniste) au détriment de l’outil de production.
Il n’y a pas une recette miracle pour retrouver les marges nécessaires au maintien d’une activité industrielle en France. La réindustrialisation est possible à la condition que chaque entreprise trouve la solution répondant à ses problèmes spécifiques. Ainsi, plutôt que de parler de montée en gamme, il faut penser en termes de montée en compétences de l’ensemble des salariés de l’entreprise, y compris des équipes de direction.
[1] Natixis, « France : l’impossible réindustrialisation », Flash Economie, 21 septembre 2016, n°942.
[2] OFCE, « L’état du tissu productif français absence de reprise ou véritable décrochage ? », 9 novembre 2016.
[3] Patrick Artus, « La désindustrialisation de la France est inexorable », L’Opinion, 4 octobre 2016.
[4] KAPSYS, « KAPSYS relocalise sa production en France », 23 novembre 2016, communiqué de presse consulté le 10 décembre 2016.
[5] Legendre P., Trésor historique de l’Etat en France, Paris, Fayard, 1992, 2e édition, p.15.