Le Club Méditerranée représente depuis les années 1950-1960 la liberté, les villages, l’insouciance des vacances à un prix certes plus élevé que les autres prestataires… Finalement, une certaine idée des vacances propre à notre culture nationale !

Il est intéressant, de prime abord, d’analyser l’évolution de cette société au cours des 15 dernières années à travers son cours de Bourse : envolée fin des années 1990, chute vertigineuse avec l’éclosion de la bulle Internet, reprise durant la période faste des années 2003 à 2007, puis de nouveau chute avec la crise financière de 2008 et, depuis lors, une très légère reprise. Un actionnaire stable depuis 15 à 17 ans aura globalement perdu les 2/3 de la valeur de son portefeuille sans aucune correction de l’inflation… Belle destruction de valeur me direz-vous, mais voyons plutôt le verre à moitié plein.

 

Cours de Bourse du Club Méditerranée

 

Le métier du tourisme a profondément changé durant ces 5 à 7 dernières années : l’arrivée d’Internet  a modifié les règles du jeu du secteur, la concurrence, l’accès à l’information, la multiplication des offres promotionnelles, la comparaison des prix et depuis peu les commentaires mis en ligne par l’internaute : le secteur est totalement chamboulé… À telle enseigne que les tours opérateurs dont le métier était justement l’assemblage des possibilités se restructurent en permanence, le client étant devenu lui-même son propre tour opérateur.

Dans cette tourmente, le Club Méditerranée a dû revoir son modèle économique. Les clients des années 1970-1980 avaient aimé le Club, mais ces mêmes consommateurs dotés d’un niveau de vie plus élevé demandaient maintenant plus de confort. Le positionnement du Club évoluait dangereusement entre des séjours clés en main à bas coût et des séjours très haute gamme, beaucoup plus sélectifs.

Ayant eu la chance d’assister à un déjeuner avec Henri Giscard d’Estaing, son président-directeur général (après une carrière au sein du groupe Danone), je fais part de la problématique du Club Med des années 2000 à 2005. Il la résume ainsi : « quand  un marché stagne, il se « bipolarise » entre le meilleur et le moins cher ; ce qui est au milieu disparait ! » Comme le modèle économique du Club en fait une industrie de frais fixes, composés de main d‘œuvre et d’énergie, les coûts ne sont pas déterminés par le niveau de confort offert aux participants. Avec 100 GO en moyenne par village, la différence des coûts entre 2 et 4 tridents (nourriture par exemple) n’est pas très significative dans la structure de prix. Ce niveau de frais fixes élevés – et peu dépendant de la qualité offerte dans la structure de prix de revient – a nécessité la prise de décisions cruciales pour la survie même de l’entreprise :

  1. Adapter le parc des villages avec la fermeture d’environ 60 villages sur les 120 existants ;
  2. Investir dans les sites dont les caractéristiques physiques ou économiques permettaient la montée en gamme : 1 Md€ alors que le cours de Bourse était chahuté ;
  3. Partager la nouvelle stratégie avec les employés pour une réussite de la transformation de l’entreprise : 3 000 GO à convaincre ;
  4. Et surtout, changer le positionnement du Club avec la décision de perdre des clients ! En effet, la fermeture des sites a naturellement réduit le nombre de clients, mais le challenge était que ce nombre multiplié par la dépense de chacun d’entre eux permette de dépasser le chiffre d’affaires existant.

Le délai de réalisation fut plus long que prévu car réorienter une entreprise prend toujours plus de temps que prévu, surtout quand les vents sont contraires (tsunami au japon, incertitudes politiques, printemps arabe…).

Mais la ligne directrice était claire : transformer en profondeur l’entreprise avec deux idées stratégiques, la montée en gamme pour sortir du ventre mou du marché (en 2000, le plus cher de la moyenne gamme ; maintenant, le plus accessible du haut de gamme) et la création d’une marque mondiale de vacances, avec le renfort de l’implantation internationale. L’esprit « pionnier » de l’entreprise a su faire le reste pour aller dans des endroits où les autres ne vont pas.

Et un nouvel eldorado s’ouvre, lequel pourrait enfin récompenser les actionnaires de leur patience et de leur confiance dans la société : la Chine. Elle pourrait être la France des années 1950 de Gilbert Trigano : les Chinois sont passés des voyages aux vacances, une partie de la classe moyenne a trois semaines de vacances par an et la formule Club correspond à la culture chinoise. Le Club a maintenant une part de marché de 10% après 5 ans de présence.

Après 10 ans sans le versement du moindre dividende aux actionnaires, le pari est audacieux avec des enjeux compliqués :

–          Comment incarner le bonheur et la joie lorsque les environnements économique, humain et social sont difficiles ?

–          Comment appréhender et gérer au mieux les différences socioculturelles entre les villages et au sein de chaque village ?

–          Comment gérer au mieux le risque (météo, nature, folie des hommes…) à travers sa répartition et donc son internationalisation ?

–          Comment anticiper l’évolution du secteur du tourisme, en pleine restructuration, avec 2 grands opérateurs européens en difficulté ?

Mais comme le souligne Henri Giscard d’Estaing : « nous gérons au mieux ces enjeux, mais quel potentiel  de développement dans une société de plus en plus orientée vers le loisir ! Nous n’avons que 1,4 million de clients pour un potentiel de marché cible de 60 millions de clients ! »

L’esprit pionnier du Club Méditerranée a encore de beaux jours devant lui… Peut-être la fin d’un long tunnel pour les investisseurs des premiers jours, avec un retour sur investissement tant attendu.