IFRS15, la nouvelle norme sur la reconnaissance du revenu, applicable à partir de 2017, a été publiée fin mai dernier. Ce texte qui va impacter toutes les entreprises industrielles et commerciales qui publient leurs comptes en IFRS a été résumé dans Vox fi le 16 juin par Philippe Danjou, membre de l’IASB (ici).

Que faut-il retenir de cette norme en première lecture ?

  1. Nouveau vocabulaire

IFRS 15 introduit la notion de d’obligation de performance (performance obligation) qui est l’unité dans laquelle il faut décomposer un contrat. Les modalités de reconnaissance du revenu s’analysent ensuite pour chaque obligation de performance distincte.

Pour aider à comprendre cette nouvelle notion, on peut considérer qu’une obligation de performance est l’équivalent d’un « livrable ». Décomposer une transaction en obligations de performances revient à se demander combien de livrables ont été promis au client dans le cadre de la transaction, les livrables pouvant être des biens, des services, l’utilisation d’une licence…

  1. Norme de convergence

IFRS15 est une norme de commune IFRS et US Gaap ce qui doit permettre une meilleure comparabilité des chiffres de ventes.

Cela étant dit, les effets attendus de cette norme pour les deux groupes de préparateurs sont très différents car les normes applicables actuellement dans les deux référentiels (IFRS et US  Gaap), c’est-à-dire le point de départ, sont très différentes.

  1. Suppression d’IAS11 et d’IAS18 pour les préparateurs IFRS

Pour les préparateurs IFRS, IFRS15 remplace IAS11 Contrats de construction et IAS18 Produits des activités ordinaires, deux normes qui :

  1. étaient globalement considérées trop peu explicites en particulier sur les contrats comprenant plusieurs composants (multiple element arrangements). Pour cette nature de contrat, c’est-à-dire les contrats dans lesquels on trouve plusieurs obligations de performance, il faut s’attendre à revoir en détail les analyses comptables qui étaient effectuées jusqu’à présent. Inversement, on aura peut-être aussi la surprise de devoir distinguer plusieurs obligations de performance dans des contrats où nous considérions jusqu’à présent n’en avoir qu’une (cela sera le cas par exemple pour certaines extensions de garanties qui devront être analysées dans certains cas comme une obligation de performance distincte, ou la prise en charge de l’assurance et du transport au-delà du point où les risques sur les produits ont été transférés ).
  2. ne traitaient pas du sujet des revenus de licence. On peut se référer à l’exemple illustratif 20 d’IAS 18 sur les revenus de licence et royalties pour noter que la reconnaissance des royalties de façon étalée est un traitement proposé dans IAS 18 actuellement « pour des raisons pratiques » (as a practical matter), mais non fondé sur des concepts robustes. On peut donc s’attendre à revoir dans certaines situations le traitement du revenu des licences.

 

  1. Suppression des normes spécifiques par industrie pour les préparateurs américains

Les préparateurs US Gaap, qui avaient à leur disposition une multitude de textes spécifiques par industrie, voient disparaitre ces textes spécifiques. Les enjeux sont donc importants pour eux, surtout dans les industries concernées par des textes spécifiques très prescriptifs (en particulier les secteurs de l’immobilier, du logiciel, des telco…) car ils vont devoir appliquer une norme unique qui induira probablement des changements de pratique. Par ricochet, les préparateurs IFRS dans ces mêmes industries, s’ils appliquaient les textes US Gaap en l’absence d’informations précises en IFRS ou pour des raisons de comparabilité avec leurs concurrents aux Etats Unis, risquent d’être impactés par la nouvelle norme.

Même dans les cas où les normes US Gaap n’étaient pas appliquées par les préparateurs IFRS, il sera important de suivre les débats qui auront lieu aux Etats-Unis et de comprendre les impacts de cette nouvelle norme sur les préparateurs américains car ces impacts seront communiqués aux marchés financiers au moment de la transition. Dans une industrie donnée, des préparateurs IFRS pourront ne pas être impactés par IFRS15 mais devront être prêts à répondre aux analystes sur cette absence d’impact si les préparateurs américains dans la même industrie constatent eux des impacts.

  1. Une norme de principe, demandant du jugement professionnel

La nouvelle norme est basée sur des principes (principle based), par opposition aux normes basées sur des règles (rule based) telles qu’elles existent actuellement en US Gaap. On peut illustrer ce propos avec les ventes faites à des distributeurs. Il existe trois modèles de reconnaissance du revenu en US Gaap : sell-in, sell-through ou cash. Selon le modèle sell in,  les ventes sont reconnues lorsque les biens sont livrés au distributeur; selon le modèle sell through, les ventes sont reconnues lorsque le distributeur livre à son propre client et dans le modèle cash, il faut attendre le paiement pour reconnaitre la vente (cash basis). Dans les trois modèles en revanche les biens sont sortis des stocks quand ils sont livrés au distributeur.

En IFRS, dès lors que le recouvrement est considéré probable, c’est en général le modèle sell in qui est appliqué, avec comptabilisation de provisions pour retour et de provisions pour rabais remises et ristournes si nécessaire. Par conséquent, les Américains peuvent aujourd’hui avoir à différer le revenu pour des transactions pour lesquelles en IFRS il est reconnu plus tôt.

IFRS15 remet en cause les modèles sell through et cash décrits ci-dessus, ce qui revient à dire que les US Gaap s’alignent en principe sur les pratiques IFRS actuelles. Cela revient à dire aussi que les Américains vont devoir s’habituer à comptabiliser du revenu et à estimer des provisions dans des cas où il existe des incertitudes. Cette norme demande donc plus de jugement que les règles actuelles prescriptives existant actuellement en US Gaap. Compte tenu de la force des habitudes, il sera intéressant de voir dans quelle mesure les modèles sell through et cash seront effectivement remis en cause aux Etats-Unis.

  1. Référence accrue aux clauses contractuelles

Les obligations de performance peuvent être satisfaites à un instant donné (at a point in time) ou de façon continue dans le temps (over time). On trouve dans cette seconde catégorie les contrats à l’avancement. Pour bénéficier de la reconnaissance over time, le fournisseur doit, entre autres, avoir à tout moment le droit au règlement à hauteur de la performance réalisée à date. Ce droit doit être prévu au contrat, ce qui implique probablement de devoir revoir certains contrats actuels (ex : construction ou développement de logiciels).

 

  1. Une norme plus étoffée pour les préparateurs IFRS

IAS 11 et IAS 18 comptent 22 pages en incluant les exemples illustratifs ; IFRS15 en compte 170… Des problématiques non abordées dans les normes actuelles sont donc traitées explicitement dans IFRS 15 telles que les garanties, les licences, l’allocation des rabais aux différentes obligations de performance, le traitement des paiements non cash,  les couts encourus pour exécuter un contrat, les modifications de contrat, la prise en comptes des paiements variables…

Nous reviendrons dans de prochains billets sur Vox-Fi avec des conseils sur la préparation à la mise en place de cette norme et des exemples détaillés d’application.