L’échec de la globalisation serait un scénario dangereux car il signifierait la priorité accordée partout à un intérêt national à courte vue au détriment des politiques de coopération.

 

Cela présuppose que les participants aient des intérêts partagés. Or ceux-ci ne sont pas, contrairement à ce qui a été observé au XXe siècle, contradictoires. Il suffit pour s’en convaincre de constater l’interdépendance économique et financière entre la Chine et les Etats-Unis. Tout cela donne de l’espace pour trouver des compromis malgré des concurrences qui peuvent être sévères, à condition :
– d’accepter que nous n’entrons pas dans un monde unipolaire ;
– de considérer que le monde n’est pas non plus multipolaire, ce qui est plus surprenant pour nous, Français nourris de cette phraséologie depuis l’explosion de la bombe atomique française et le discours de Phnom Penh du Général de Gaulle ;
– d’avoir des mécanismes et des institutions qui favorisent la recherche de solutions appropriées.

Henry Kissinger dans une interview récente au Figaro rappelait cette spécificité française consistant en l’approche synthétique et conceptuel des problèmes opposée au mode de pensée anglo-saxon consistant à « jeter » un cadre de travail puis de raffiner par un processus d’ajustement fondé sur la résolution pratique des problèmes rencontrés.
Ceci nous conduit à une réflexion sur le mode de fonctionnement du board de l’IFRS.
La globalisation telle qu’elle apparaît a besoin d’institutions internationales fortes fondées sur des principes, des gouvernances et de modes de fonctionnement qui retiennent « le meilleur des deux mondes ». Or concernant les évolutions nécessaires de l’IASB, les approches française et anglo-saxonne semblent éloignées.
Après avoir reproché au board son « manque » de réactivité lors de la constatation de l’impact de l’application de la juste valeur sur les bilans des institutions financières, la position française, certes relayée par d’autres gouvernements, a insisté sur l’importance d’un placement de l’IASB sous les autorités du Conseil européen des ministres de l’Economie et des Finances et de la Commission européenne. Nous sommes exactement dans le cadre dual qui vient d’être exposé : un homme politique n’est pas là pour se perdre dans les détails. « L’intendance suivra », a dit quelqu’un… On appréhenderait, côté français, les problèmes conceptuellement quand les Américains (qui ont participé à l’élaboration du corpus IFRS – cela rappelle leur participation au comité de Bâle sans en appliquer les recommandations !) et les Anglais privilégieraient une approche pragmatique…
Si les événements de l’année passée imposent des changements, il ne faudrait pas se tromper de cible. Le concept initial de l’IFRS est de proposer un jeu de normes rapprochant les reporting comptable et financier de la vie des affaires, en améliorant la lisibilité des états financiers et en réduisant l’importance des annexes !
Mais placer l’IASB à côté d’un commissaire européen (et donc de la bureaucratie bruxelloise) pour les « décrets d’application » conduirait certainement à une inertie renforcée voire à un blocage du système. Surtout dans le cadre d’une extension des normes IFRS aux PME (le fait que le recueil de normes « ne comporte que 300 pages » n’est pas fait pour rassurer !) dont la mise en œuvre sera nécessairement laborieuse compte tenu de l’infinité de situations à intégrer. Sans principes simples initiaux, les préparateurs et les vérificateurs de comptes auront du mal à s’orienter dans la forêt de conseils d’application qui ne manqueront pas d’être publiés.
Si le politique doit voir loin et rappeler régulièrement sa vision, il convient de rappeler trois questions dont les réponses orienteront la gouvernance et le modus operandi de l’IASB:
– L’institution existante est-elle celle dont nous avons besoin ?
– Quels engagements prennent les délégations nationales ?
– De quels moyens dispose l’IASB pour accomplir ces missions ?
A ceci, trois réponses :
– l’institution n’a qu’imparfaitement répondu aux besoins des entreprises ;
– les engagements de « simplicité » d’application, d’utilisation et d’étroite connexion avec les réalités économiques auxquelles sont confrontés les assujettis, doivent être réaffirmés et validés par les autorités politiques de l’Union, le cas échéant sous forme de directive-cadre ;
– la réponse à cette question impose une revue de ses moyens par l’IASB et la soumission aux organismes représentatifs concernés d’un Exposure Draft, une fois les engagements de principes (voir point précédent) entérinés par le board.
Cette réforme est difficile car elle ne se limite pas aux questions techniques que soulève son adaptation à un environnement changeant. Ce sur quoi l’on bute n’est pas tant la difficulté à trouver un bon compromis technique (entre pays membres de l’IASB d’une part, entre IASB et FASB d’autre part), mais sur des questions de pouvoir. Il suffit pour s’en convaincre de constater le non-aboutissement du cycle de Doha, l’hyper susceptibilité des Etats sur la responsabilité supranationale des autorités de stabilité financière, la non-application des recommandations du Comité de Bâle par les Américains (sauf quand il faut mettre en vigueur un ratio financier qui semble avantager les banques américaines).
Conformément à la théorie de la real politik, la question du pouvoir est, comme toujours, l’enjeu fondamental !
Dominique Chesneau