Il faut des « comptes carbone » selon des règles proches de la comptabilité d’entreprise

Deux économistes et deux entrepreneurs, parmi lesquels Marie-Hélène Pebayle et Katheline Schubert, défendent, dans une tribune au « Monde », la logique des « comptes carbone », alors qu’une simplification de la directive CSRD, relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, pourrait être décidée le 26 février à Bruxelles, avec la loi omnibus.
Il est raisonnable, avec la loi omnibus que prépare l’Union européenne, de passer en revue les normes déclaratives de durabilité qu’impose la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) aux entreprises européennes. Et d’élaguer ou de différer certaines des obligations si l’on juge qu’elles conduisent à plus d’embarras pour l’entreprise qu’elles n’ont d’intérêt public. L’Association française des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG) va dans ce sens et fait à ce titre un ensemble de suggestions pour améliorer le texte.
Dans cette démarche simplificatrice, le cœur des propositions en matière climatique est préservé car c’est le domaine où retarder l’effort accroît les risques de façon exponentielle. Ainsi demeure l’obligation pour les entreprises les plus grandes de déclarer leurs émissions de gaz à effet de serre, directes ou provenant de leurs chaînes de valeur – ce qu’on appelle communément le bilan carbone. D’autant que le travail est maintenant très avancé chez beaucoup d’entreprises, avec des résultats qui se stabilisent.
Si l’on élague ici, on peut aller plus loin là, dès lors que cela aide les entreprises. D’où cette proposition : l’entreprise qui a calculé son bilan carbone fait un pas de plus sur base volontaire. On lui demande d’aider ses clients en leur donnant l’information sur le contenu carbone des biens et services qu’elle leur vend. Pratiquement, cela signifie allouer pour chacun des produits vendus le total du bilan carbone qu’elle a calculé. La tâche est à peine plus complexe que ce que fait régulièrement son service de contrôle de gestion pour le calcul des prix de revient et des rentabilités par produit. La puissance publique peut la promouvoir, par exemple en suscitant l’émergence de labels ou de notations.
Inverser le flux d’informations
La dynamique enclenchée est vertueuse et est pleinement dans l’esprit des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Aujourd’hui, pour faire leur bilan carbone, les entreprises sont contraintes d’aller chercher l’information auprès de leurs fournisseurs, une démarche compliquée, coûteuse et souvent peu fiable. L’idée est d’inverser le flux d’informations sur le carbone émis : au lieu de remonter la chaîne de valeur, on procède de façon descendante, de l’amont vers l’aval. L’entreprise y gagne un atout commercial par le temps qu’elle fait épargner à son client et par la transparence à laquelle elle se soumet dans cette relation privée entre client et fournisseur. Au début, l’aide fournie à l’entreprise est parcellaire. Mais on devine aisément l’effet systémique de cette discipline si elle prend de l’ampleur.
Cette démarche naît spontanément aujourd’hui dans certaines industries, la chimie ou l’automobile particulièrement, où les flux d’informations sont complexes et où le fournisseur se doit de communiquer un ensemble de données sur la nature précise du produit. Des plateformes d’échange de données commencent à apparaître. Parfois, c’est la simple facture qui fait figurer les éléments additionnels.
Les données carbone doivent être raisonnablement fiables – elles le seront en tout cas davantage que ce qu’on obtient par la méthode ascendante ou par usage de facteurs d’émission forfaitaires. Il faut donc un traitement comptable rigoureux, c’est-à-dire des « comptes carbone », selon des règles proches de la comptabilité d’entreprise, dont la tenue d’un grand livre des entrées et des sorties. C’est ce qui permettra un traitement plus industriel, avec piste d’audit et amélioration des logiciels de gestion existants.
Une normalisation se fait jour à cet égard, à l’initiative, par exemple, de l’E-Liability Institute, mais c’est le rôle naturel de l’Union européenne et de l’Efrag [Groupe consultatif européen sur l’information financière], qui est sa voix en matière comptable. Les autorités européennes et françaises peuvent donc se servir de l’exercice de simplification en cours pour, de façon capillaire, non obligatoire, promouvoir une autre et importante simplification à terme.
Les signataires : Jérôme Cazes, entrepreneur, membre du collectif Carbones sur factures ; François Meunier, économiste, ancien président de la DFCG ; Marie-Hélène Pebayle, présidente de la DFCG ; Katheline Schubert, économiste, membre du Haut Conseil pour le climat.
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