Les personnels de Lufthansa réclamaient il y a trois semaines des hausses de salaires de 5 % que leur refusait la direction générale. Du coup, fait assez rare dans le contexte allemand, ils se sont mis en grève. Ce billet ne cherche pas à rentrer dans le détail du différend, mais simplement à mettre en avant un point macroéconomique qui milite absolument pour que les salariés gagnent ce bras de fer.

 

La crise de l’euro est sévère. Elle est principalement une crise de compétitivité, créée par le  mécanisme aujourd’hui bancal de la zone monétaire, qui plutôt qu’assurer une convergence des économies de la zone euro, les a fait diverger davantage. Elle est secondairement une crise de l’endettement, notamment d’endettement public, même si les pays du Sud ont profité de la manne des taux d’intérêt bas pour lâcher les cordons de la bourse en abandonnant toute rigueur budgétaire. Dont la France, on le sait bien.

 

Résoudre une crise de compétitivité passe traditionnellement par une dévaluation. Avant la mise en place de l’euro, la crise actuelle se serait dénouée naturellement : réévaluation forte du mark, dépréciation de la plupart des autres monnaies, dont probablement le franc. C’est impossible aujourd’hui, du moins impossible sans un choc macroéconomique majeur. Reprendre sa liberté n’est plus vraiment possible, le gouvernement allemand en est parfaitement convaincu. Pour ceux qui semblent banaliser la chose, par exemple en prônant un  retour de chacun chez soi : en quelle monnaie future libeller les considérables dettes croisées accumulées, notamment tout le refinancement monétaire que fait aujourd’hui la Bundesbank (près de 800 Md€) aux banques centrales des pays du Sud, via la BCE (qui disparaîtrait au passage, notons-le) ? Il est clair que dans une telle négociation, les Allemands perdraient une grande part de leur mise.

 

Reste la voie de la dévaluation dite interne. Ce qui veut dire qu’on ajuste les prix et coûts relatifs en laissant le taux de change inchangé, et donc l’euro. S’il n’y avait pas de très gros frottements dans le fonctionnement des marchés, ce second mode d’ajustement, bien que plus visible, serait rigoureusement identique au premier, une proposition qui surprend encore pas mal d’économistes.

 

Idéalement donc, les pays du Sud réduisent leurs coûts et salaires ; les pays du Nord apprécient les leurs. Laisser tout le poids de l’ajustement réel aux pays du Sud les force à une déflation sévère, peu réaliste sachant la rigidité de leur marché du travail. C’est propre à faire exploser tout gouvernement qui s’y risquerait, emmenant le pays sur une route incertaine. Les pays du Nord doivent y mettre du leur, en premier lieu l’Allemagne. Le gouvernement allemand contrôle moins les salaires privés que le gouvernement français, qui a en particulier la main sur la revalorisation du Smic (et qui, sachant ses contraintes, en a d’ailleurs usé avec sagesse récemment). Mais du moins peut-il peser sur les partenaires sociaux pour qu’il y ait davantage de grain à moudre pour les deux-trois années qui viennent.

 

Lufthansa n’est probablement pas la meilleure victime expiatoire de cette politique plus ouverte, sachant la crise que connaissent les transporteurs aériens traditionnels face à la montée des low cost. Mais tant pis ! Le signal doit être donné. Il faut soutenir les salariés de Lufthansa.

Au passage, le gouvernement français doit anticiper. La France est du mauvais côté en matière de compétitivité. Elle doit freiner ses coûts. Les négociations salariales s’engagent en ce moment dans les entreprises. Un panel de DRH français récemment interviewés parle de hausse de l’ordre de 2,6 à 2,9 %. Trop ? Trop peu ? Une sagesse maintenue voudrait qu’il y ait le moins possible de grain à moudre en ce moment. Le mot d’ordre : surveiller les Allemands. Et aider en sous-main leurs grévistes, moralement en tout cas !

 

Épilogue : peut-être modestement en raison de ce billet, qui circulait sur le net avant sa mise sur le Blog, la grève s’est terminée par un succès des salariés. Espérons que ce succès en encouragera d’autres !