La tourmente actuelle sur les marchés de la dette de la zone euro montre des parallèles frappants avec la situation de l’automne 2008. À l’époque, les déposants bancaires avaient perdu confiance dans la stabilité des institutions qui détenaient leurs actifs, et la crainte d’une ruée bancaire n’avait pu être évitée que par une garantie complète donnée par les gouvernements sur leurs banques. Aujourd’hui, nous observons une « ruée obligataire », c’est-à-dire une crise de confiance autoentretenue sur la plupart des emprunteurs souverains de la zone euro. Cela fait monter les taux d’intérêt, de sorte qu’un problème passager de liquidité chez toujours plus de pays est en train de devenir un problème permanent de solvabilité. Bien que les régulateurs continuent à considérer les emprunts d’État comme le cœur de la stabilité financière, cette spirale menace la stabilité des institutions financières, pas seulement dans la zone euro, mais dans le reste du monde. Elle accentue les tendances récessives de l’économie mondiale, ce qui à son tour ne fait qu’empirer la situation financière des États. Le parfait cercle vicieux.

On ne peut le rompre qu’en stoppant au plus vite la ruée obligataire. Une solution serait une garantie conjointe et solidaire sur la dette des membres de la zone euro. Mais, comme le montre la réaction du gouvernement d’Angela Merkel à une proposition récente du Conseil allemand des experts économiques, ses perspectives ne sont pas bonnes.

Une autre option est le plan Soros, décrit dans le Financial Times du 24 octobre. Les autorités utiliseraient le Fonds européen de stabilité financière pour permettre à la BCE d’agir comme prêteur en dernier ressort sans violer ses statuts. La BCE fournirait des montants presque illimités de liquidité tandis que le FESF garantirait la banque contre les risques d’insolvabilité qu’elle encourrait. En agissant ensemble, les deux peuvent résoudre les problèmes de liquidité que rencontrent les banques et permettre aux gouvernements fiscalement responsables d’émettre des bons du Trésor à un taux plus bas que 1 %.

Malheureusement, les décideurs politiques n’ont pas daigné s’intéresser à ce plan. Ils considéraient à l’origine le FESF comme une façon de garantir les emprunts obligataires des États. Il faut qu’ils changent leur mode de pensée si le plan de secours devait être utilisé à garantir le système bancaire. En juillet, quand le FESF a été proposé, il aurait suffi de prendre en charge la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Depuis lors, la contagion s’est étendue à l’Italie et à l’Espagne et les efforts pour endetter le FESF ont rencontré des difficultés.

Comme le plan Soros prendrait du temps à être préparé, la BCE pourrait entre-temps faire face à une situation de dégradation rapide. Le 13 novembre dans une interview au Financial Times, le président de la Bundesbank questionnait le droit de la BCE d’agir comme prêteur en dernier ressort. Le jour suivant, la contagion s’est répandue sur le reste de la zone euro. Les marchés testent la BCE.

Il est impératif que la BCE ne se trompe pas sur l’enjeu. La banque centrale doit, à tout prix, stopper l’hémorragie obligataire qui met en danger la stabilité de l’euro. La meilleure façon de le faire est d’imposer un plafond sur le taux de rendement des emprunts d’État émis par les gouvernements qui suivent des politiques budgétaires responsables et qui ne sont pas sous des programmes d’ajustement. Le plafond pourrait être fixé à, par exemple, 5 %, puis graduellement abaissé. En se tenant prête à acheter des montants illimités, la BCE transformerait le plafond sur les taux en un plancher pour le prix des emprunts à partir duquel celui-ci pourrait à nouveau monter sans exiger des rachats illimités par la BCE.

En temps normal, les banques centrales ne fixent que les taux d’intérêt à court terme, mais nous ne sommes pas en temps normal. Les emprunts d’État – qui étaient considérés comme sans risque quand les institutions financières les ont achetés et qui sont toujours considérés tels par les régulateurs – se sont transformés en actifs parmi les plus risqués. Les emprunts publics italiens et espagnols sont perçus maintenant comme trop toxiques pour être achetés avec un rendement de 7 %, et ce taux pourrait aisément monter à 10 %. Et pourtant ces mêmes obligations pourraient être, à disons 4 %, des investissements attractifs sur le long terme dans le contexte déflationniste actuel, dès lors que les pointes de risque sont supprimées grâce au plafond à 5 %.

La récente ruée sur le marché obligataire s’est amplifiée parce que les différentes autorités se sont prises de bec sur le bien-fondé des achats par la BCE. La Bundesbank s’est déclarée férocement contre. Cependant, la menace déflationniste est réelle et commence à être perçue même en Allemagne. Les statuts de la BCE appellent à un maintien de la priorité à la stabilité des prix, mais cela implique une attention tout aussi égale à la déflation qu’à l’inflation. L’asymétrie ne vient pas des statuts de la BCE, mais de la tête des Allemands qui ont été traumatisés par l’hyperinflation. À noter que le conseil de la BCE est une autorité dont l’indépendance doit être respectée, même par la Bundesbank.

Le plafond de taux ne doit être regardé que comme une mesure d’urgence. À moyen terme, il pourrait inciter les politiciens à abandonner la discipline budgétaire. Le temps de respiration qu’il donne devrait être utilisé à mettre en place les règles fiscales appropriées et à concevoir la stratégie de croissance qui permettra à la zone euro de sortir de son surendettement.