Il pèse un risque systémique énorme sur les chambres de compensation
Le présent article soutient avec force le danger et l’opacité qui résultent des transactions financières opérées uniquement de façon bilatérale, de gré-à-gré entre un établissement financier et son client. Il faut des chambres de compensation, qui prennent sur elles une partie du risque de crédit lié aux transactions. Mais l’article insiste tout autant sur la nécessité d’avoir des chambres de compensation très solvables, sauf à faire naître un risque systémique très dangereux.
La concentration des risques de contrepartie dans les chambres de compensation me semble une réponse adéquate à la crise de 2008. Le très important marché des dérivés, pour ne parler que de lui, ne s’est vraiment développé que sur une base bilatérale, dite de gré-à-gré ou OTC (pour over-the-counter), sans échanges sur des marchés organisés, sans normalisation des mécanismes de valorisation des collatéraux ni des mécanismes de haircut, sans non plus de réponse globale à la compensation au sein des bilans bancaires. Il en est résulté un gonflement gigantesque de ces bilans et une opacité plus grande encore.
Ces chambres de compensation sont des agences de nature privée. Je recense les trois plus importantes : Clearstream au Luxembourg appartenant à Deutsche Börse, LCH Clearnet, racheté par étape par le London Stock Exchange, et ICE aux États-Unis qui a bâti l’essentiel de son développement sur l’intégration des différentes fonctions de marché : cotation, matching, compensation et conservation).
Pour des raisons de risque, il faut compenser la plupart des transactions sur dérivés de gré à gré par les chambres de compensation. Mais, centralisant les risques, ces entités sont soumises au risque systémique : elles sont peu capitalisées, et leur défaut entraînerait une crise globale. C’est un point que souligne justement Simon Johnson, ancien chef économiste du FMI dans un article récent du Financial Times. Les banques centrales ne peuvent s’en désintéresser. En 1987, première crise majeure de l’ensemble du nouveau dispositif s’appuyant sur les marchés organisés (et à une époque où le gros des dérivés était listé, avant que les transactions OTC se développent), le système avait failli exploser et la FED, banque centrale des États-Unis, avait fourni une garantie de liquidité illimitée à tous les acteurs (y compris et surtout à ceux qui ne dépendaient pas de sa supervision).
Actuellement en Europe, LCH Clearnet, qui compense l’essentiel des dérivés OTC, est situé à Londres, soumise au droit anglais. La Banque d’Angleterre ne serait pas en mesure de fournir cette garantie de dernier ressort en cas de crise systémique. Les engagements en euros et en dollars dépassant largement les engagements en sterling, elle n’en aurait pas les moyens.
On se retrouverait dans une situation où la BCE (et peut-être la FED) serait contrainte de sauver une entité offshore qu’elle ne supervise pas. La panique est garantie.
L’autre question est la capacité des marchés de gré à gré de « révéler le juste prix », condition qui me semble indispensable afin d’éviter les crises systémiques : la plupart de ces dernières résultent à mon sens d’un mispricing majeur qui se révèle soudainement et qui amène une correction brutale (avec tous les effets sur la liquidité et ensuite la solvabilité).
La construction que je défends est :
- Une relocalisation des marchés organisés par zone monétaire.
- Une extension des marchés organisés, mieux à même que le gré-à-gré de déterminer le juste prix, couplé à un rôle clé des hedge funds qui testent en permanence le prix (ces tests qui peuvent créer des mini-krachs, mais évitent les gros krachs). Faciliter le travail des hedge funds (et pour cela étendre les marchés organisés, par nature désintermédiés), c’est renforcer le premier niveau de régulation des économies libérales : que le prix soit juste !
- Une localisation des chambres de compensation par zone monétaire, là où la banque centrale est en mesure d’assurer la garantie de liquidité de dernier ressort. Et par conséquent les soumettre à son contrôle.
- Créer des agences de notation intégrées au marché organisé, et non plus payées par l’entité notée. Toujours dans le but d’éliminer les biais. Et avoir des exigences de capital dans les banques moins élevées lorsqu’il s’agit de produits basés sur marchés organisés que sur de le gré-à-gré pur. Cela forcerait les échanges de CDS (ou Credit Default Swaps) à passer par des marchés organisés plutôt, comme c’est le cas aujourd’hui, uniquement via le gré-à-gré.