L’annonce par la France d’une baisse des prix en septembre 2024 de 1,1 %, portant l’inflation annuelle à 1,2 %, a surpris. Les marchés attendaient une inflation annuelle à 1,9 %. Le chiffre est de 1,7 % pour l’Espagne et de 1,6 % pour l’Allemagne. On est bien revenu en dessous de l’objectif de 2 % fixé par la BCE. Assagie, l’inflation est retournée dans son lit, et même un peu sous le lit.

La question à présent porte sur les taux d’intérêt. Vont-ils rester au niveau qu’ils ont atteint après leur brutale remontée de 2022, c’est-à-dire, au-delà de mouvements erratiques de court terme, autour de 3,80 % pour le T-bond 10 ans US et 2,15 % pour le Bund allemand à 10 ans (chiffres au 30 septembre) ? Il s’agissait de niveaux rassurants parce que « normaux ». Il était difficile pour beaucoup de comprendre comment on pouvait avoir durablement des taux nominaux négatifs comme on le voit pour l’Allemagne (graphique ci-dessous, trait rouge) et plus bas que 1 % dans les cas étatsunien (trait bleu).

 

Et pourtant, il y a quelques arguments pour juger qu’ils vont redescendre à nouveau. Une première considération est purement visuelle, non économique. En pratique depuis 2012, les taux allemands réels, c’est-à-dire corrigés de l’inflation, ont été négatifs, et même très fortement lors de la violente poussée d’inflation qu’on a connu suite à l’épisode Covid et au dérèglement advenu pour les flux commerciaux et pour les prix de l’énergie et des matières premières agricoles. Aujourd’hui, avec une inflation ponctuellement à 1,6 % pour l’Allemagne, le taux réel du Bund est remonté à 1,3 %, niveau très inhabituel. Voir le graphique qui suit. Cela n’exclut pas bien sûr un changement de régime, mais il reste à démontrer.

 

Une raison plus profonde pourrait jouer à faire baisser à nouveau les taux, à savoir le niveau très élevé de l’endettement des États et de l’endettement privé. On jugerait trop rapidement qu’à cause des forts besoins de financement, l’effet offre de titres obligataires par les États pousserait les taux à la hausse. Mais c’est une vue partielle des équilibres en jeu. Vu globalement, c’est le contraire qui a des chances de se produire pour une raison qui tient à la demande de financement et donc de titres de dette. Cela tient à la stagnation de la demande globale dans la plupart des pays, la Chine, l’Europe et les États-Unis. Les finances publiques ne sont plus en état de financer des montants importants d’investissement, malgré les besoins croissants ressentis dans le domaine de la transition écologique, des nouvelles technologies et de la défense. Et la France est loin d’être seule ici. En clair, il faut une baisse des taux parce qu’il faut que les financements privés soient en mesure de prendre le relais avec des investissements rentables.

Ajoutons à cela que les banques centrales sont sensibles au risque de récession, comme on le voit dans le cas chinois et maintenant européen. D’où possiblement une politique des taux plus souple, confortée par le souci de ne pas contempler impuissantes une dérive des endettements publics.

Faut-il lancer un chiffre ? Les prévisions sont là pour être démenties, mais il serait possible que, de façon progressive, les taux publics US reviennent dans la région des 2 % et de 1 % pour ceux de l’Allemagne, le cas de la France devant intégrer un facteur d’incertitude difficile à borner.

Mais historiquement, le spread OAT / Bund a toujours été relativement protégé. Le motif est simple : la France fournit le gros de l’encours de dette publique en euros, qui plus est avec un très fort niveau de liquidité et une gestion de qualité. Qui veut investir en dette euro de par le monde est bien content de trouver une dette française abondante et liquide. C’est une sorte de privilège exorbitant de la France (analogue au fameux privilège exorbitant des États-Unis grâce à leur monopole sur le dollar) de pouvoir émettre facilement de la dette. Pour son malheur, elle en abuse. Car, n’ayant pas trop l’épée dans les reins, le gouvernement peut jouer libéralement de son « quoi qu’il en coûte », dès qu’un mouvement social du côté des agriculteurs, des petites entreprises, des gilets jaunes… (mais pas des opposants à la réforme des retraites) montre son nez. Les investisseurs étrangers veulent de l’euro émis par la France, faisons donc du déficit.

Un mot sur les marchés actions. On avait été surpris lors du grand mouvement de baisse des taux sans risque entre 2000 et 2021 que les rendements action restent aussi élevés, dans la zone des 7 à 8 %. Les primes de risque s’étaient donc fortement élevées, résultat du mouvement de refuge sur les actifs sans risque. Désormais, du moins aux États-Unis, les primes de risque sur les marchés actions ont fortement baissé (par rapport aux taux de la dette souveraine). Il est probable qu’elles remontent à nouveau, mais peut-être pas à hauteur de la baisse des taux ici pronostiquée. On verrait donc ici le maintien de forces préservant le niveau des cours boursiers, malgré les menaces de récession qui nous entourent.