En tant qu’auteurs du Vernimmen, sur la simple bonne foi de notre intérêt pour la finance, nous avons la chance de pouvoir rencontrer des financiers passionnés. Nous avons souhaité partager ce mois-ci notre échange avec Cyrille Tupin, directeur financier de Cerenis Therapeutics, société de biotechnologie française cotée. Cyrille Tupin occupe ce poste depuis la création de Cerenis en 2005[1]. Fort d’une expérience en audit (cabinet indépendant et big four) en France et à l’international (Canada), Cyrille Tupin a décidé de rejoindre une jeune start-up.

 

En quoi une biotech est-elle une société particulière ?

 L’animal est particulier, en effet :

  • La société n’a que des coûts et pas de ventes.
  • Ses développements sont très longs, entre 5 et 10 ans minimum, et nécessitent des sommes importantes (une étude phase II sur une thérapie coûte en moyenne 30 à 40 M€) avec une rentabilité potentielle uniquement à long terme.
  • Les projets ont une probabilité de ne pas aboutir non nulle. La volatilité des résultats à venir est donc très forte.
  • La société est en levée de fonds quasi permanente.
  • Son activité est très complexe et difficilement appréhendable par un non spécialiste.

 

Pouvez-vous nous décrire très succinctement les produits que Cerenis développe ?

Cerenis développe des thérapies basées sur les HDL (High-density Lipoprotein, le « bon cholestérol »). La société a un portefeuille de plusieurs produits à des stades différents de développement et visant différentes pathologies (maladies cardiovasculaires, maladies « orphelines » métaboliques, cancer).

 

Quelles ont été les étapes de financement de Cérénis ?

Cerenis est passé par les stades classiques de financement d’une start-up : Séries A, B et C et introduction en bourse. De manière synthétique :

  • La Série A a permis de financer la première fabrication du produit (HDL).
  • La Série B a financé la phase I et la moitié de la phase II d’un traitement visant à réduire le risque de maladie cardio-vasculaire.
  • La Série C a financé la fin de la phase II et le développement sur les maladies orphelines.
  • L’introduction en Bourse en 2015 a permis aux fonds de trouver une liquidité mais aussi de financer la seconde phase II pour les maladies cardio-vasculaires et la phase III du traitement sur les maladies orphelines.

Cerenis a ainsi levé au total 170 M€.

 

Quels sont les avantages et les inconvénients d’avoir des fonds de capital développement au capital versus un actionnariat éclaté ?

Les fonds de venture capital (BPI France, Alta, Sofinnova, Healthcap, TVM Life Science) sont généralement présents au conseil d’administration (typiquement s’ils ont plus de 10 % du capital). Ils sont alors très impliqués et disposent de professionnels spécialisés dans les biotechnologies. À l’opposé, les fonds dotés d’un avantage fiscal de type ISF sont passifs, ils ne contribuent pas à la réflexion et aux développements. Ils peuvent même être assez handicapants lorsque le fonds arrive à maturité et que la pression pour assurer une liquidité est forte.

L’interaction avec les fonds spécialisés est très enrichissante et, dans notre cas, à la sortie des fonds, des administrateurs indépendants sont venus remplacer les représentants des fonds. Ce n’est souvent à mon avis qu’un pis-aller, car pour certains la motivation n’est clairement pas la même. C’est pourquoi nous avons offert, lors de l’introduction en Bourse et à l’occasion de l’augmentation de capital de 2018, l’opportunité aux membres du conseil d’investir dans les titres Cerenis.

 

Quelle part de votre temps est dédiée à la levée de fonds ?

Je dirais 30 % soit près de 4 années occupées à lever des fonds (sur les 13 ans passés dans la société). Mais loin d’être répétitif, la diversité des investisseurs (fonds early stage, fonds spécialisés biotech, particuliers, …) et des situations de la société (lancement, avancée de la R&D, échec d’un programme de recherche et réorientation) rendent l’exercice passionnant.

Je suis en quelque sorte un urgentiste de la finance ! Toujours sur le chemin pour lever des fonds quand il y a un intérêt des investisseurs, car la valorisation de la biotech peut très vite virer brutalement dans un sens et dans un autre. C’est difficile de lever des fonds quand votre cours vient de baisser de 50 ou 75 % suite à des déceptions sur des essais cliniques. Quand l’argent est disponible, il faut le prendre car on ne meurt pas d’un excès de capitaux propres, mais d’une insuffisance.

 

Pensez-vous qu’être coté est un avantage ou un inconvénient pour Cerenis ?

Je constate d’abord que cela a été une évolution naturelle et nécessaire pour nous. Les fonds de venture capital ont financé notre développement pendant une dizaine d’années, mais nous arrivions en 2015 à un stade où ils devaient trouver une liquidité. La Bourse était alors attractive pour les biotech (2014 ayant été l’année où le plus de biotech se sont lancées en Bourse, plus de 70…) et l’introduction en Bourse nous a permis de lever 53,4 M€. Des gestionnaires d’actifs « classiques » sont rentrés au capital à cette occasion (JP Morgan Asset Management et AXA Investment Managers notamment). Le public s’est également intéressé à la société.

Avec l’échec de la seconde phase II sur les maladies cardio-vasculaires en mars 2017, le cours a fortement chuté. La capitalisation boursière de la société est alors devenue trop faible pour intéresser les gestionnaires d’actifs classiques. Ils sont donc sortis du capital, parfois brutalement. Hormis la participation résiduelle de certains VC et le management, le capital est maintenant principalement détenu par des investisseurs individuels, souvent des petits porteurs.

L’enjeu est que la faible liquidité du titre induit maintenant une très forte volatilité, même en l’absence de toute nouvelle sur l’avancée des recherches cliniques.

Mais ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Si nous réussissons l’un de nos programmes de recherche en cours, il faudra aller se faire coter aux États-Unis, car c’est là-bas que ce modèle d’externalisation de la recherche médicale dans des petites entités comme Cerenis a été inventé, et c’est là-bas qu’il y a les fonds pour des montants bien plus significatifs qu’ici et avec une vraie expertise médicale parmi des investisseurs spécialisés, que l’on peine à trouver ici, sauf peut-être à la BPI.

 

Qu’est-ce qui explique que des petits porteurs soient actionnaires de Cerenis ?

Souvent ce type d’investisseurs, qui détiennent collectivement un peu moins de 50 % de notre capital, se sentent touchés par ce que nous faisons. Ils veulent faire avancer la recherche médicale et que leur argent permette de faire reculer le cancer, les AVC, les maladies orphelines. Parfois, eux-mêmes ou des proches ont été confrontés aux maladies pour lesquelles nous cherchons des traitements.

 

Quelles ont été les phases les plus compliquées à gérer pour vous ?

Sans surprise, la réduction de la voilure qui a suivi l’échec de la phase II sur les maladies cardio-vasculaires a été un moment charnière. On est passé de plus de 120 personnes avec les consultants et sous-traitants à seulement 7 aujourd’hui. L’effectif est aujourd’hui réduit au strict minimum pour minimiser le cash burn non affecté directement aux études cliniques. Mon rôle de directeur financier est donc avec une acception très très large… mais c’est également ce qui est passionnant !

 

Quelles prochaines étapes pour Cerenis ?

Le management de Cerenis est convaincu que les thérapies à base d’HDL représentent un potentiel à peine exploré de la médecine.

Les développements sur les maladies orphelines sont clairement les plus prometteurs à court terme. Bien que le marché sous-jacent soit réduit, une réussite dans ce domaine nous permettrait de prouver l’efficacité des HDL et certainement de relancer l’intérêt pour les développements dans le domaine cardio-vasculaire.

Nous avons récemment réalisé une levée de fonds auprès du management, des administrateurs et de quelques investisseurs pour financer les premiers pas pour explorer si les HDL pouvaient être utilisés pour véhiculer des traitements en cancérologie et les rendre plus efficaces.

L’échec de la phase III lancée dans les maladies orphelines a conduit la société et le conseil d’administration à évaluer, les différentes options stratégiques s’offrant à Cerenis. Parmi ces dernières, Cerenis a décidé d’entrer en négociation exclusive avec une autre société pour un projet de fusion-absorption. L’objectif est d’intégrer un nouveau candidat-médicament afin de relancer la recherche et le développement tout en maximisant la valeur du portefeuille actuel pour les investisseurs.

Ceci dit, n’oublions pas que le but ultime des sociétés de biotech est d’améliorer le bien-être et la qualité de vie des patients. C’est pour cette raison que ce n’est pas parier sur les biotechnologies qui est risqué, c’est parier contre elles.

Avant d’être racheté par Johnson & Johnson pour 30 Md$, Actelion était passé par l’échec de deux phases III et avait failli mettre la clé sous la porte. L’espoir est donc permis, mais comme le montre notre cours de Bourse, the jury is still out.

 

[1] Depuis notre entretien, Cyrille Tupin a été nommé directeur général adjoint.

 

Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°167 d’avril 2019. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 6 mai 2019.