Cinq ans après le bouleversement introduit dans le champ social par les ordonnances travail de 2017, on cherche encore à faire le bilan de cette réforme. On attend d’ailleurs le prochain Rapport d’évaluation sur cette réforme, un rapport en principe annuel et prévu par la loi, mais dont la dernière version date de 2021. En cette année 2023 où un nombre important de CSE va être renouvelé, un bilan mieux ajusté serait bien utile.

Le morceau principal de la réforme de 2017 a été la fusion des trois IRP, instances représentatives du personnel, à savoir les délégués du personnel, le CHSCT et le CE. La loi laissait une grande marge de manœuvre aux partenaires sociaux pour façonner le CSE aux spécificités de l’entreprise. Force est de constater que la plupart des CSE créés l’ont été dans le cadre minimal prévu par la loi, sans enthousiasme, la force de l’habitude l’emportant.

Deux choses ressortent quand même dans ce bilan, en pointillés faute de données actualisées : en positif, le CE unifié sous la forme du CSE donne un poids plus grand à cette institution. Si son champ de compétence n’est pas élargi par rapport à ce que faisaient les trois IRP précédemment, il devient incontestablement une instance plus visible et avec un fonctionnement d’ensemble simplifié. En négatif, le nombre des représentants à cette instance est trop faible dans les sociétés importantes, surtout celles qui sont multi-établissements, d’autant que les suppléants des membres élus du CSE ne peuvent assister aux séances qu’en cas d’absence du titulaire. D’où une charge de travail excessive pour les membres en titre, qui rend difficile leur travail et augure mal des vocations lors des prochaines élections. C’est le rajeunissement des membres de cette instance qui est en jeu.

Au titre des regrets, les partenaires sociaux ne se sont absolument pas saisis de deux possibilités importantes ouvertes par la loi : d’abord, la mise en place des « représentants de proximité », membres du CSE ou délégués par le comité, pour jouer le rôle qu’avaient précédemment les délégués du personnel ; ensuite et surtout, de ne pas donner sa chance au « Conseil d’entreprise » (CE), une instance très nouvelle dans le droit français, qui, pour la définir en peu de mots, fusionne les fonctions d’information et de consultation propres à l’ancien CE, et celle de négociation propre aux délégués syndicaux. On abandonne le modèle du double canal où une instance, le CSE, est informé mais n’a aucun pouvoir de négociation ; et des délégués syndicaux qui, syndicat par syndicat, négocient au nom de l’ensemble du personnel, avec une interaction minimale avec le CSE. Ce modèle existe déjà dans les petites entreprises, où en l’absence de délégués syndicaux faute de syndicats suffisamment puissants, les élus du CSE récupèrent le droit de négociation.

Sous ce format unifié, le CE a, par sa cohérence accrue et son mode d’élection, un poids politique plus grand. Il embrasse en un même lieu la plupart des sujets propres à la marche de l’entreprise. L’élection, désormais unique, devient un temps fort de la vie de l’entreprise. Le conseil d’entreprise serait aussi un moyen de dévier la menace « plébiscitaire » que comportent les procédures d’accords collectifs par vote direct des salariés. De plus, les sections syndicales, qui conservent leurs facilités logistiques au sein de l’entreprise, peuvent se voir renforcées par une assimilation plus forte, dans l’esprit des salariés, aux très populaires activités sociales et culturelles du CSE, prémices en quelque sorte d’un modèle de « syndicat de service » qu’on voit à l’œuvre dans les pays d’Europe du Nord pour contrer la désaffection syndicale.

La dénomination de CE est judicieuse, puisqu’instaurant avec le terme de « conseil » un parallélisme avec le CA, conseil d’administration, et s’appropriant le sigle de CE qui reste populaire dans le monde du travail. On pourrait y voir une réplique des efficaces Betriebsraten allemands qui sont l’un des volets, aux côtés de la présence de représentants du personnel dans les conseils de surveillance, de la codétermination dans les entreprises d’outre-Rhin. Or, bientôt cinq ans après, ces conseils d’entreprise en France sont au nombre de… 40.

Que faut-il faire pour aller de l’avant en matière de représentation salariale ?

La première mesure est de bon sens. Le CSE et a fortiori le CE sont des instances salariales. Il faut donc que ce soit un membre du personnel qui en assure la présidence, sur un ordre du jour qui lui soit propre ; comme pour le Betriebsrat allemand, la direction de l’entreprise n’a pas à y être présente, sauf à la demande du CSE. Jean Peyrelevade proposait la même chose dans une tribune des Echos.

Il serait bon de soumettre à codécision des sujets aujourd’hui traités uniquement sous forme de consultation. En premier lieu, la gestion des emplois et des compétences, l’organisation du travail, la sécurité, la formation professionnelle, dans les limites que lui attribuent la loi ou les accords de branche. Des commissions internes au CSE ou au conseil d’entreprise se spécialiseraient sur les différents sujets. En matière de santé et sécurité, il serait bon, à défaut de CHSCT, que le seuil où une telle commission est mise en place descende de 300 à 50 personnes.

Dernière mesure, les administrateurs salariés membres de plein droit du conseil d’administration sont désignés par un vote du CSE ou du conseil d’entreprise pour les entreprises ou groupes dépassant un certain seuil de salariés. On supprime donc les autres moyens de nomination que prévoit le loi Sapin de 2013. L’obligation de confidentialité des travaux du conseil d’administration s’imposent à eux, mais ils peuvent rester membres du CSE.