Dans le monde désenchanté où nous vivons, à quel saint se vouer ? Pour les consommateurs trop sollicités et pourtant égarés que nous sommes, à quel produit se fier ? Voici la question lancinante que remâchent tant et plus les consultants et profs de marketing.

Pourtant, dès 1972, la réponse avait été trouvée. Hebrew National, une entreprise américaine, lançait une campagne de publicité pour ses hotdogs kasher. Un pubard inspiré lui trouva le slogan magique : la nourriture kasher « répond à une plus haute autorité » (« answers to a higher authority »). Succès immédiat. Le slogan s’est répété et est devenu réalité dans la tête du consommateur américain : désormais l’« autorité supérieure » s’impose à 14 % d’entre eux, qui déclarent acheter de la nourriture kasher, alors que la population juive des États-Unis ne fait que 2 % de la population totale. Ce marché atteint désormais les 200 Md$ contre 32 Md$ il y a vingt ans. (Référence pour ce billet indélicat : Sue Fishkoff, « Kosher Nation: Why More and More of American’s Food Answers to a Higher Authority ».)

Ce n’est donc pas pour observer l’halacha, l’antique loi biblique gouvernant les pratiques alimentaires, que les gens là-bas achètent kasher. C’est parce que le label est devenu à leurs yeux signe de qualité et de surveillance dans la confection d’une alimentation toujours plus industrielle. L’autorité divine s’incarne en agence de certification. Heinz, un grand nom de l’agroalimentaire aux États-Unis, l’équivalent d’un Danone chez nous, met sur ses boîtes de soupe les sigles OU, Kof-K, Star-K, KSA, etc., une soupe d’alphabet distinguant les différents degrés de kashérité – avec le risque de perdre en route le consommateur. Cela veut dire que le nom Heinz, et peut-être demain Danone chez nous, ne suffisent plus à être en eux-mêmes garantie de qualité. À eux aussi, il faut l’autorité supérieure. Ces marques sont désormais prises en sandwich entre la grande distribution (qui met en avant la certification implicite de leur propre nom, Carrefour ou Monoprix) et ces nouvelles certifications parallèles, religieuses ou pas.

La France et l’Europe copient les États-Unis avec dix ans de retard. Il était donc urgent d’occuper le créneau. Pour cette raison, la certification kasher se développe. Les cultes musulmans ont compris la chose et promeuvent désormais la certification Halal (par opposition à l’alimentation Haram, celle qu’interdit le Coran). Comme l’Europe est plus laïque, le créneau se voit aussi occupé par le sigle « bio », blason de la nouvelle religion naturaliste qui s’insinue dans nos esprits, nouveau culte du dieu Pan ou culte de notre mère Gaïa, ce méta-organisme qu’est la terre, à côté des autres « êtres » du cosmos.

Il ne faut pas ironiser sur la qualité de la certification qu’il y a derrière chacune de ces appellations. Un organisme comme Ecocert (qui certifie 80 % de l’alimentation dite bio en France) fait son travail sérieusement, comme, on l’imagine, le font les rabbins et imams, toujours présents dans le processus de certification kasher et halal. Il y a désormais concurrence avec les entités publiques chargées de ces certifications, Food and Drug Administration aux États-Unis ou l’AFNOR en France. Beaucoup de gens se pressent pour être l’autorité supérieure !

D’autant que ça rapporte quelques petits revenus, c’est-à-dire plus de 100 M$ aux préposés du culte juif aux États-Unis. Leurs marges commerciales s’approcheraient-elles des ratios qu’enregistrent les grandes agences de notation financière, comme Moody’s ou Standard and Poors (un taux de marge de 60 %) ? Car voici un autre domaine, la notation financière, qu’ont investi depuis longtemps les oulémas de l’université Al-Azhar du Caire. Ils donnent – contre petites indulgences – leur tampon de conformité charia à la plupart des montages de finance islamique. Cela exige une bonne dose d’ingénierie, ce que la langue arabe appelle délicatement du mot de hiyal, les astuces, pour qu’un montage financier sans intérêt, au sens propre, rapporte quand même quelque chose qui ressemble à de l’intérêt. Les religions juive ou chrétienne connaissent moins cela, pour avoir oublié, toujours pour l’une, depuis assez longtemps pour l’autre, l’interdit de l’intérêt.

Verra-t-on naître des formes plus immanentes, moins « supérieures » de vérification de la qualité ? Le « je te note », « tu me notes » (« il menotte » ?) de l’économie collaborative, sur les plateformes telles Uber ou Airbnb, sera-t-elle une autre façon d’affirmer la qualité, directement par l’acheteur ou le vendeur, dès lors que l’acte de vente est répété, que la réputation est observable et qu’une prestation de mauvaise qualité n’est pas trop dommageable ? On y recourt de plus en plus pour la notation des performances des cadres dans les grandes entreprises. Mais on en est encore loin pour l’alimentation de détail. Le transcendental garde ses atouts.

Ce qui conduit à la question : mais que fait l’Église catholique ? Même si les voies du Seigneur sont impénétrables, doit-elle laisser aux autres cultes le monopole de l’accès diététique à l’autorité supérieure ? A tout le moins pour le pain et le vin, dont elle maîtrise la transsubstantiation ? Il doit bien y avoir des moyens marketing plus modernes de lever le denier du culte ?

 

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