Les tribulations du nouveau Chancelier de l’échiquier britannique, Kwasi Kwarteng, et avec lui de la livre sterling, sont connues du monde entier. Une belle entrée en fanfare pour Liz Truss, la Première ministre récemment élue ! Sans s’étendre sur les détails, il est utile d’ajouter ici une ou deux remarques.

Les faits d’abord. Le projet de budget qui fait hurler le monde politique britannique, y compris les députés qui viennent d’élire Liz Truss, contient trois choses : un ample programme de réduction d’impôts qui vise les hauts revenus (dernière minute : Liz Truss vient de le supprimer) ; annule une hausse prévue de l’IS et allège enfin les cotisations sociales, soit un paquet de 1,5 % du PIB ; un bouclier fiscal pour protéger les ménages contre la hausse des tarifs électriques et gaziers, sur le modèle continental, soit encore 3,3% du PIB ; et un programme « supply-side » consistant à déréglementer dans le domaine des terrains constructibles ou exploitables pour le gaz de schiste, et des normes environnementales afférentes.

Donc au total une somme budgétaire majeure dans un contexte où la lutte contre l’inflation est la priorité de la Banque d’Angleterre et où le déficit public prévu pour 2022 était déjà de 6,8 % du PIB. Déjà, Mark Carney, ancien gouverneur, indique que le gouvernement est en train de saboter l’action de la Banque et de la prendre en otage. Devant le conflit qui s’annonce entre le Trésor et la banque centrale, les taux courts montent (ligne rouge du graphique) et la livre (ligne bleue) s’effondre par rapport au dollar, même si la Banque s’est vue obligée, pour éviter une panique sur les marchés, de racheter quantité d’obligations (65 Md£) à long terme du Trésor. Un prochain billet de Vox-Fi reviendra sur cette panique du mercredi 28 septembre ; elle a trait à rien moins qu’aux fonds de pension des Britanniques.

 

 

D’où vient au juste le problème ?

Certainement pas du côté de la balance des paiements. La livre chute, les finances publiques s’enfoncent, mais on est en aucun cas devant une menace de défaut de paiement. Le Royaume-Uni contrôle sa monnaie et vit sous un régime de change flexibles. (Il en irait autrement s’il s’agissait comme l’Italie d’un pays de la zone euro, — — Allo Giorgia Meloni ! – car dans ce cas la monnaie ne serait plus à la main du pays souverain, ce qui est à la fois une perte d’autonomie et, dans des temps difficiles comme celui-ci, un gros avantage.) La dette publique, déjà à 100 % du PIB, reste parfaitement refinançable. On pourrait penser que la chute de la livre va accroître la compétitivité britannique. Même pas ! Le Royaume-Uni est avant tout très performant dans les services à haute valeur ajoutée (finances, communication, droit, etc.), autant d’activités peu sensibles aux prix.

Est-ce efficace du côté de la croissance ? C’est en tout cas ainsi qu’il a été présenté : un choc d’offre pour sortir l’économie de l’ornière, dans un esprit thatchérien ou reaganien. Sur ce point, il existe maintenant un consensus assez solide, précisément acquis après les expériences Thatcher et Reagan, et renforcé au vu du plan fiscal de Trump en 2017 : dans des marges raisonnables, le niveau des impôts n’a toujours qu’un faible effet sur la croissance, a fortiori s’il s’agit d’impôts sur les riches. La libération de surfaces constructibles peut stimuler le secteur de la promotion immobilière et le bouclier fiscal préserve clairement le pouvoir d’achat, mais voilà tout.

Un vent contraire s’élève immédiatement, car le conflit est désormais ouvert avec la Banque d’Angleterre. Depuis Gordon Brown, celle-ci est indépendante et, bien que figure dans son mandat qu’elle doit « soutenir la politique économique du gouvernement », sa priorité absolue est la maîtrise des prix, avec une cible qui est toujours de 2 %. Elle ne va certainement pas s’accommoder de l’expansion monétaire associée à ces libéralités budgétaires. La hausse des taux d’intérêt a toujours des effets très violents au Royaume-Uni car l’économie fonctionne largement sur un financement à taux variable, notamment sur le marché hypothécaire.

Il faut rappeler que le plan Reagan de baisse d’impôts pour les riches était lui aussi advenu dans un contexte de forte inflation, mais il venait à la fois en sortie de crise et au moment où arrivaient massivement les femmes sur le marché du travail. Point de cela au Royaume-Uni, qui a voté Brexit précisément pour stopper l’arrivée d’immigrés.

Bref, on relance, on distribue pour les riches, on creuse les finances publiques et on ne fait pas de croissance, voire l’inverse. Le pays survit, certainement, mais tout cela pour cela !

D’où vient alors la réaction si négative des marchés ? La réponse est : une grosse fatigue, celle de voir ce grand et prestigieux pays embourbé dans sa gestion politico-économique depuis six ans, date du vote sur le Brexit. Sa solvabilité n’est guère en cause, encore que le FMI se permet d’avertir sèchement le gouvernement Truss, gardant le souvenir des divers plans de sauvetage financier du Royaume-Uni entre les années 50 et 70. Mais sa crédibilité si. Le travail de la Banque d’Angleterre dans sa gestion de l’inflation va devenir plus compliquée parce que désormais elle devra surveiller le niveau de la livre sterling, ce qu’elle n’avait plus besoin de faire depuis les malheurs économiques du pays dans les années 70. Joli gâchis. La prime de risque monte, mais il s’agit d’une prime de risque que les économistes Paul Krugman et Dario Perkins appellent une « moron risk premium », une prime de risque pour crétinisme. À suivre.

 

Dernière minute : S&P vient de placer la dette souveraine du Royaume-Uni sous « perspective négative », ce qui est un acte fort pour une dette souveraine.