Dans Babies and the Macroeconomy, Claudia Goldin, Prix Nobel d’économie pour ses travaux sur l’emploi et l’éducation, s’intéresse à la fécondité, dont les taux chutent tendanciellement dans quasi tous les pays. À la recherche de facteurs explicatifs, elle divise douze pays développés en deux groupes : le premier comprend le Danemark, la France, l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni et les États-Unis, pays qui ont connu une croissance économique relativement stable tout au long du XXe siècle ; le second avec la Grèce, l’Italie, le Japon, la Corée, le Portugal et l’Espagne qui ont connu un développement économique extrêmement rapide après 1950.

Comme le montre le graphique, les pays du premier groupe ont maintenu des taux de fécondité dans l’ensemble modérés entre 1970 et 2022, avec bien sûr un léger déclin sur la période. Les pays du second groupe partent de taux de fécondité assez élevés dans les années 1970 (allant de 2,5 à 4,5 enfants par femme), mais enregistrent des baisses spectaculaires au cours des décennies suivantes, avec des taux désormais inférieurs à 1,3 après 2000, passant même à 0,73 pour la Corée en 2023.

 

Pourquoi ce contraste ? Goldin met en avant des tensions qui naissent dans les pays qui connaissent un changement économique trop soudain. Dans ces pays, les hommes restent souvent attachés aux structures familiales traditionnelles tandis que les femmes saisissent les nouvelles opportunités économiques. Pour citer Goldin : « Le temps que les femmes exigent des hommes pour élever une famille et être membres d’un marché du travail moderne peut dépasser le temps que leurs conjoints, ou futurs conjoints, plus attachés aux traditions sont prêts à offrir ».

Les données sur l’emploi du temps confirment cette hypothèse. Dans les pays du deuxième groupe, les femmes effectuent au moins 2,5 heures de plus de travaux ménagers et de soins non rémunérés par jour que les hommes, contre 0,8 à 1,7 heure pour les femmes du premier groupe de pays. Cette disparité entre les sexes dans le travail domestique présente une forte corrélation négative avec les taux de fécondité. Par exemple, le Japon et l’Italie affichent des différences entre les sexes d’environ 3 heures de travail non rémunéré et ont des taux de fécondité de 1,36 et 1,27, respectivement, tandis que la différence de 0,8 heure de la Suède correspond à un taux de fécondité plus élevé de 1,7.

Addendum : Sur le cas de Corée qui turlupine les démographes, un éclairage intéressant est apporté par ce graphique (extrait de What we can learn from Korea’s demographic meltdown dans Vox-EU) :

 

On y voit que les jeunes coréennes, désormais très éduquées et pouvant aspirer à des emplois bien rémunérés, arrivent plus tôt que les hommes sur le marché du travail mais le quittent dans une certaine proportion dès la trentaine atteinte. Elles ont du mal à combiner emploi et enfant en raison d’un marché du travail peu flexible : l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est très élevé (ce qui pousse l’homme à continuer à travailler) et ceci, selon les pratiques en entreprise, pendant de longues heures, ce qui pèse sur le travail au foyer de la femme. De plus, la croissance des salaires se fait à l’ancienneté de sorte qu’il importe de ne pas quitter le marché du travail trop longtemps. D’où pour beaucoup de femmes, un retour vers l’emploi et une sorte de profil en M de la courbe du taux d’emploi. Le choix est donc : pas d’enfant du tout, ou bien un enfant et pas plus.

De façon anecdotique, mais importante, les parents coréens consacrent une part importante de leurs revenus à des cours particuliers pour aider leurs enfants, ce qui fait des dépenses d’éducation un autre obstacle majeur à la procréation. En 2023, près de 80% des écoliers coréens étaient inscrits à des cours particuliers, pour lesquels leurs parents dépensaient en moyenne environ 10 % de leur revenu disponible.

Nota : Le début du billet repose largement sur un commentaire de NBER Digest, un topo mensuel sur les travaux du National Bureau of Economic Research, auquel nous recommandons à nos lecteurs de s’abonner, avant que Trump coupe son budget.