Eric Monnet. Seuil – 106 pages – Novembre 2021.

Les banques centrales sont sous le feu des critiques : « trop opaques, trop technocratiques, hyper puissantes et coupées du peuple » ! Pourtant on peut les penser comme un pilier de l’Etat providence, leur rôle pouvant être de nous protéger des aléas économiques. Cette idée n’est pas celle de Milton Friedman, mais force est de constater que le rôle des banques centrales a évolué dans le sens de la protection des citoyens et bientôt pour soutenir la transition écologique et produire une monnaie électronique.

Ce changement -au moins implicite- de leurs missions, s’est insuffisamment accompagné d’études sur l’acceptabilité par les citoyens des pouvoirs « nouveaux » dévolus aux banques centrales.

Aussi, l’ouvrage d’Eric Monnet, sociologue et pas économiste, vise à répondre aux questions suivantes : quelle forme prendra l’argent demain ? Quel cadre d’intervention avec quelle légitimité ? Comment démocratiser les banques centrales ?

Le livre rappelle les concepts et idées sur les statuts et missions « classiques » d’une banque centrale, les mystères de la création monétaire, la monnaie digitale… thèmes abordés sans grande nouveauté mais nécessaires la compréhension par les lecteurs non spécialisés.

 

En revanche le dernier chapitre et la conclusion sont novateurs, et suscitent la réflexion du lecteur.

Pour certains, tout doit être fait pour limiter le recours à des valeurs dans les décisions de politique monétaire. La délégation de pouvoir donnée à la Banque centrale doit donc être extrêmement restrictive avec des objectifs précisément délimités. Pour d’autres, cette légitimité doit reposer sur le processus de délibération et d’explication des valeurs qui conduit à faire des choix dans le cadre de leur mandat. Opposition conceptuelle entre la délégation et la délibération : pouvoir du fonctionnaire ou supériorité de la réflexion politique. Faut il donner la priorité au fonctionnement du marché économique sur toute réflexion et revendication sociales quitte à risquer de rendre la démocratie « irréelle » en niant l’affrontement des points de vue et l’expression des valeurs qui lui sont consubstantiels ?

Le déficit démocratique de l’euro n’est pas qu’une vue de l’esprit puisque la crise de 2008 a montré que la BCE est juge et partie dans l’interprétation de son mandat, avec toutefois quelques garde-fous tels que la Cour de Karlsruhe et quelques autres. Mais le politique a pu être considéré comme ayant été mis devant le fait accompli. Les résultats économiques ont été positifs pendant 15 ans, mais la crise actuelle qui n’en est qu’à ses débuts et les troubles qui s’annoncent vont renforcer les interrogations sur l’acceptabilité des décisions de politique monétaire.

Il y a une inégalité de connaissance et de compétences entre les banques centrales avec 810 économistes à la FED, probablement 400 au sein de la BCE quand le Parlement européen ne peut compter que sur les rapports d’économiste extérieurs au nombre de quatre pour chaque dialogue trimestriel ! Une enquête sociologique récente a révélé que plus de la moitié des articles de recherche publiés sur la politique monétaire sont écrits par au moins un économiste de banque centrale et mettent en avant les effets positifs des politiques menées que leurs externalités.

Aussi bien, l’auteur recommande la création d’un Conseil européen du crédit -doté d’un nombre suffisant d’économistes- qui permettra de rééquilibrer la délibération de la politique monétaire de la BCE et de renforcer le pouvoir législatif du Parlement européen. Il y aurait ainsi une enceinte de coordination entre politique monétaire, politique budgétaire et politique de transition écologique et de cohérence entre les différentes actions politiques de l’Union et leurs modes de financement.

 

Enfin, le débat sur les monnaies digitales ne peut pas être isolé du débat sur l’allocation de l’épargne régulée par l’Etat, ni du débat sur le rôle financier de la Banque centrale dans l’investissement écologique et l’introduction des monnaies digitales de banque centrale remettrait au goût du jour la « monnaie hélicoptère » dont la mise en œuvre -crédit immédiat des comptes bancaires des agents économique- gagnerait en efficacité et en rapidité.

Faire de la politique monétaire sans passer par des prêts aux banques peut comporter l’avantage de « démocratiser » le débat sur la politique monétaire en rendant plus tangible l’action de la banque centrale auprès des citoyens.

Livre créatif donc, rédigé par un non économiste et qui mérite des recherches complémentaires indépendantes et des échanges démocratiques. Débat nécessaire en ces temps de montée inquiétante du populisme !