La Bourse a principalement cinq rôles :

Offrir une liquidité à des investisseurs qui peuvent, à un moment donné ou dans le temps céder tout ou partie des leurs actions dans une société cotée. Cette liquidité est fondamentale car une action, contrairement à un titre de dette, n’offre pas contractuellement un remboursement. La liquidité ne peut donc venir que d’une revente à un moment donné à un autre investisseur. Dès lors la possibilité d’une cotation en Bourse même dans un futur indéterminé, est un frein de moins à l’investissement en capitaux propres.

– Afficher régulièrement le prix des actifs qui y sont cotés. Que ce prix plaise ou non est un autre sujet. Il a le mérite d’exister, c’est le prix du marché et le prix auquel il est possible de céder très vite un paquet d’actions. Les alternatives permettant d’obtenir un prix plus élevé existent mais sont aléatoires. Elles prennent du temps et peuvent n’être que partielles : vente du contrôle, sortie de l’investisseur minoritaire par rachat d’actions, attente de jours meilleurs.

Donner un brevet de respectabilité aux entreprises qui sont cotées car toutes ne sont pas cotées, il faut respecter des conditions. Le régulateur boursier s’assure que des vérifications ont été faites au moment de l’introduction en bourse sur la situation de l’entreprise et en fait régulièrement par la suite, ce qui est loin d’être sans coût pour les émetteurs surtout quand les IFRS s’en mêlent[1]. Seules normalement les meilleures entreprises sont donc susceptibles d’être cotées.

Offrir une protection aux actionnaires minoritaires car les règles boursières concernant l’information et les changements de contrôle offrent souvent de bien meilleures protections que celle permises un pacte d’actionnaires.

et enfin faciliter le financement par capitaux propres, car la cotation qui donne un prix à l’action et une liquidité favorise considérablement la levée de fonds : un prix de référence existe aux yeux de tous et à tout moment une action achetée peut être revendue. La bourse est de fait un moyen pour l’entreprise de toucher un nombre beaucoup plus important d’investisseurs potentiels et donc théoriquement de lever plus de fonds.

 

C’est justement sur ce dernier point que la Bourse est critiquée. Le montant des dividendes versés et des rachats d’actions est supérieur, et de loin, à celui des augmentations de capital, le nombre des sociétés qui s’introduisent en Bourse s’est réduit, en particulier en France, comme une peau de chagrin, le nombre de radiations volontaires par retrait de bourse[2] ou involontaire suite à un changement de contrôle est largement supérieur à celui des introductions.

Tout ceci est statistiquement vrai, mais nous semble relever financièrement d’un effet d’optique.

Les sociétés cotées qui versent des dividendes copieux ou procèdent à des rachats d’actions ne sont pas les mêmes que celles qui font des augmentations de capital. Il est  normal que des sociétés arrivées à maturité procèdent à des rachats d’actions et/ou à des versements de dividendes copieux afin de restituer à leurs actionnaires des capitaux propres dont elles n’ont plus ou pas l’usage. A l’inverse, il est normal que des sociétés en forte croissance ou en restructuration sollicitent auprès des investisseurs de nouveaux capitaux propres. Le fait que le solde des appels aux actionnaires moins les restitutions aux actionnaires soit négatif ne change rien à l’affaire : les entreprises cotées qui ont eu besoin de capitaux propres ont pu en trouver en bourse comme Arcelor Mittal (4 Md$), Peugeot (1 Md€) ou Technicolor (190 M€) pour se restructurer, Alstom (350 M€) ou CGG Veritas (414 M€) ou Vranken Pommery (42 M€) pour financer des opérations de croissance externe ; Energie Partagée (3 M€) ou GL Events (70 M€) pour financer des investissements ; en se limitant à des opérations datant de moins d’un an.

Par ailleurs, dans ces calculs on oublie facilement les augmentations de capital cachées : dividendes payés en actions (4,6 Md€ en 2012 pour les entreprises du CAC 40, voir l’article suivant), conversion d’obligations convertibles en actions, exercice d’options de souscription accordées aux salariés.

Il ne faut cependant pas se leurrer. En Europe au moins, l’année 2012 n’a pas été très propice à des augmentations de capital : cours bas qui peuvent poser des problèmes de dilution du contrôle pour des actionnaires ne pouvant pas souscrire pour leur part[3], structure financière saine pour de nombreuses entreprises cotées qui n’ont pas besoin de capitaux propres supplémentaires, peu d’opérations de croissance externe à financer, flux de trésorerie disponible élevés et investissements industriels peu dynamique dans une zone économique flirtant avec la récession.

Mais il n’y a pas que la France et l’Europe dans le monde. Ainsi l’AMF estime à 270 Md$ le montant des augmentations de capital dans le monde pour les neufs premiers mois de 2012 contre 280 pour l’ensemble de 2011 et 350 en 2010.

 

Enfin et surtout, il ne faut pas oublier qu’il y a les flux mais aussi les stocks. Les flux ce sont les augmentations de capital, les stocks la masse de capitaux propres comptables apportés depuis la création des entreprises par les actionnaires non contrôlant ou laissés à leur disposition sous forme de bénéfices non distribués. En Europe compte tenu d’une capitalisation boursière des sociétés de l’ordre de 11.000 Md€, d’un PBR bien pesé de 1,5 et flottant moyen pondéré de 80%, on peut estimer ce stock d’investissements financés par la Bourse à environ 6.000 Md€ en montant comptable donc historique.

Certains de ces capitaux propres ont été apportés à l’entreprise lorsqu’elle était cotée, d’autres lorsqu’elle ne l’était pas encore. Mai en tout état de cause le relais a été pris à un moment donné pour de l’ordre de 6.000 Md€ en Europe par des investisseurs actifs en Bourse car ils savaient qu’ils pourraient revendre les titres qu’ils achetaient à d’autres investisseurs qui eux aussi savaient qu’ils pourraient en cas de besoin les revendre à d’autres investisseurs qui eux aussi. . . Pour 6 000 Md€, des actifs sont financés et portés par des investisseurs qui, individuellement, peuvent changer rapidement mais qui seront toujours remplacés, de sorte que collectivement ils et la Bourse portent ces actifs. L’oublier et dire que la Bourse ne finance plus les entreprises comme on l’entend d’ici et de là, c’est faire l’impasse sur 6.000 Md€ en Europe. 6.000 Md€, c’est 11 fois le montant des encours de crédits aux entreprises du monde entier accordés par la plus grosse banque européenne dans ce domaine (BNP Paribas). Ce n’est donc pas rien.

Il y a une corrélation forte en la vigueur d’un marché boursier, c’est-à-dire du public equity et celle du private equity, le monde du non coté. C’est un mécanisme vertueux qui s’auto-entretient. Dans certains pays tout créateur d’une nouvelle entreprise rêve d’atteindre la consécration que matérialise l’introduction en Bourse. Il n’a pas de peine à trouver des investisseurs en capital risque si son projet tient la route car ils savent que si le succès est au rendez-vous, leur investissement pourra trouver sa liquidité sur le marché boursier.

Dans d’autres pays, cela est beaucoup plus difficile car culturellement et fiscalement l’environnement n’est guère favorable à la prise de risques par capitaux propres. La Bourse est moins développée, moins dynamique et les entrepreneurs ont plus de mal à trouver des financements en capital risque. On créé alors moins d’entreprises et elles arrivent moins facilement au stade de l’introduction en Bourse.

On ne saurait trop insister sur les effets positifs indirects d’une Bourse dynamique sur le financement en capitaux propres de l’économie. Stade ultime de la liquidité, elle bénéfice au monde du non coté qui un jour ou l’autre l’utilisera et qui, en attendant, peut être plus actif  car plus confiant dans sa liquidité à terme grâce à elle.

 

On terminera sur un clin d’œil. Les groupes dont la structure juridique ne permet pas la cotation en Bourse (les mutualistes) ont le plus souvent une ou plusieurs filiales cotées qui leur sert de pompe à financement en capitaux propres : Natixis pour BPCE, CASA pour le Crédit Agricole ou Vilmorin pour Limagrain. Quant à ceux qui ne veulent pas venir en Bourse, ils organisent souvent leur propre bourse interne comme le groupe Mulliez.


[1] En France, les sociétés non cotées établissent leurs comptes en normes françaises mais celles cotées sur Euronext doivent les publier en normes IFRS et celles sur Alternext ont le choix.

[2] Pour plus de détails, voir le chapitre 48 du Vernimmen

[3] Pour plus de détails, voir le chapitre 43 du Vernimmen 2013