Que d’incompréhensions et d’atermoiements de la part des politiques, de Bercy, des médias et des contribuables sur le cheminement de l’idée de Prélèvement à la Source (ci-après PAS), et la façon dont l’Etat s’est englué dans cette réforme technocratique d’une complexité invraisemblable, qui a été menée en dépit du bon sens et qui au final a coûté très cher et ne sert à rien ! Le nouveau monde est en train de perdre ainsi un coup de vieux et la crédibilité de la parole politique également.

François Hollande et Emmanuel Macron, son conseiller à l’Elysée à l’époque, avaient pourtant les idées claires au départ : partir d’un sous-jacent idéologique (répartition moins inégalitaire de l’impôt en oubliant le principe constitutionnel de l’égalité des Français devant l’impôt …) pour instituer le PAS et pouvoir ensuite fusionner fusionner plus facilement ces cotisations sociales (qui avaient pourtant le gros avantage d’être des impôts à taux raisonnables avec des assiettes larges…) avec l’Impôt sur le Revenu (ci-après IR) afin de les rendre progressives et non plus proportionnelles.

Cette trajectoire était à l’origine ponctuée d’étapes parfaitement identifiées à l’époque : individualisation de l’IR, réduction préalable des crédits d’impôts et des niches fiscales et sociales, prélèvements mensuels de l’IR par les banques des contribuables (peu de contribuables non bancarisés dés le 1er janvier 2018 (en lieu et place de la DGFIP) et fusion des trois prélèvements sociaux avec l’IR dès le 1er janvier 2019. Devant le renoncement des politiques sur les étapes préalables, Bercy, qui sait travailler vers l’objectif ultime, a poursuivi son chemin sourd aux avertissements de plus en plus nombreux des experts.

Où en est-on aujourd’hui sur ce bateau ivre qu’est le projet de mise en place du PAS ? Toutes les hypothèses formulées par les différents ministres et par les uns et les autres sont sur la table et plus personne n’y comprend rien. J’imagine (pure spéculation de ma part) que le ministre des comptes publics a organisé la fuite de la note de la DGFIP de juillet tirant le bilan de la phase d’essai du PAS qui n’est plus d’actualité (tests réalisés jusqu’en juin 2018 révélant des erreurs étant surtout le fait des employeurs, parmi lesquels, en premier lieu, l’ETAT, la POSTE (salaires + revenus privés se cumulant pour certains agents), de certaines caisses de retraite (en partie celles des fonctionnaires) et d’autres organismes publics), pour justifier le très prochain report du PAS dès le 1er janvier 2020.

Je comprends également qu’Édouard Philippe et Bruno Le Maire ont été court-circuités et écartés de cette affaire et n’apprécient évidemment pas d’avoir été informés très tard du processus retenu au plus haut niveau pour sortir de ce piège. J’imagine que ce nouveau report d’un an du PAS sera annoncé mardi après le Conseil des ministres.

Je comprends que l’année 2018 restera une année blanche, à la demande du Conseil constitutionnel (non rétroactivité de l’impôt, risque de censure, les contribuables ayant adopté leurs comportements en fonction de l’année blanche annoncée par le gouvernement). Les prélèvements mensuels directs sur les salaires et autres rémunérations des contribuables soumis à l’Impôt sur le Revenu ne seraient mis en place qu’à compter du 1er janvier 2020 et effectués par les banques (le lobby bancaire résiste mais ne sera pas entendu à mon avis) dans le cadre d’une mensualisation désormais obligatoire de l’impôt sur le revenu (75% sur une base volontaire actuellement) prélevée par les banques pour les 46% de contribuables payant l’IR, et non plus par :

– les entreprises (les PME de moins de 20 personnes représentent 96,4% des entreprises et le logiciel actuel utilisé par 50 000 PME risque de ne pas supporter une montée en charge aussi brutale et importante) ;

 – les caisses de retraite (certaines petites caisses n’auraient pas été techniquement prêtes le 31 décembre 2018) ;

 – l’URSSAF (qui aurait été prête selon mes informations) ;

 – les particuliers employeurs et travailleurs indépendants (le Conseil constitutionnel a fait savoir au gouvernement qu’il n’accepterait pas qu’ils soient exonérés d’IR).

Outre le discrédit de Gérald Darmanin (qui vient de confirmer qu’il serait « le ministre qui a enfin mis en place le PAS »), qui n’a pas réussi à contrôler son administration (et le bulldozer qu’elle représente à Bercy) qui continue sur sa trajectoire, quels que soient les gouvernements, ce projet de réforme aurait coûté au total plusieurs Mds € à notre pays : 200 M€ de rémunérations à Bercy (+ des fonctionnaires de la DGFIP qui auraient pu contribuer à diminuer substantiellement le nombre de fonctionnaires), les honoraires de divers consultants à l’administration et ceux des éditeurs de logiciels et conseils informatiques aux entreprises, eux aussi grassement facturés aux caisses de retraite et aux autres organismes publics et privés employeurs.

Que de gâchis d’argent public et privé, malgré les alertes et avertissements de 95% des experts qui ont fortement remis en cause cette décision avec l’objectif ultime de fusionner l’IR (progressif) avec la CSG, la CRDS et les autres prélèvements sociaux (proportionnels). Le moins que l’on puisse dire, c’est que les prélèvements obligatoires vont continuer à augmenter si l’on est incapable de réduire les dépenses publiques) et d’augmenter l’âge de départ à la retraite. Le nombre de fonctionnaires n’a été réduit que de 1 200 en 2 017 et on ne dépassera pas 4 500 personnes en 2018 …Il est vrai que « les gaulois sont réfractaires au changement ». Doit-on rappeler ici que la croissance se fait par les entreprises privées et le milieu associatif. Pour qu’il y ait des employés il faut des employeurs.

Pour en revenir au PAS, le Marquis de Vauban rappelait que « l’impôt doit être simple et applicable partout ». Nous sommes arrivés à un degré de complexité fiscale effarant. En tant qu’expert-comptable, je puis affirmer que nombre de managers ont été détournés de leurs tâches opérationnelles indispensables depuis trois ans par les rebondissements successifs sur le PAS, sans parler des considérations psychologiques qui vont contribuer à une hausse de l’épargne et à une baisse de la consommation, alors qu’il faudrait favoriser la productivité et l’investissement.

Tout cela pour arriver à une solution de généralisation des prélèvements mensuels, modulables à la demande des contribuables, comme cela existait déjà il y a encore un mois. J’engage les contribuables à aller sur le site www.impots.gouv.fr et à demander le numéro national fourni par La DGFIP. Il vous sera répondu qu’il est impossible de modifier votre mensualité d’impôt avant le 02/01/2019 !

Mais une bonne nouvelle pour les finances publiques (et une mauvaise pour les contribuables) : non seulement ils seront prélevés chaque année d’un montant d’IR supérieur (pour la plupart d’entre eux dont la rémunération augmente chaque année) mais ils devront aussi avancer de l’argent à l’Etat et ne seront remboursés des crédits d’impôt que plus tard par rapport à la situation actuelle. Ce qui ne les empêchera pas de continuer à faire une déclaration annuelle d’IR. En espérant que les fichiers de la DGFIP pourront être synchronisés avec ceux des banques (ou des employeurs) en temps voulu. Voilà un beau cas d’école sur le chemin de la prise de décision publique et de séances de communication politique parfaitement incompréhensibles pour le commun des mortels ! Où est la simplification qu’on nous avait promise ?