Les dernières parutions financières de « l’avant-Covid »

Le domaine de la finance ne cesse d’être questionné, notamment avec les trois études suivantes, à la fois originales et rigoureuses.

Bedossa B., Cauoin V., Cherradi H., La finance méditerranéenne, des systèmes financiers fragmentés, Revue d’économie financière n°136, 44 pages.

La REF complète sa revue des systèmes financiers par les pays européens et méditerranéens, après la Chine, l’Inde, les États-Unis, les pays d’Afrique et d’Amérique latine. Les auteurs analysent les pratiques financières d’un espace regroupant plus de 300 millions d’habitants, qui s’étend du Bosphore au détroit de Gilbraltar, en passant par la Turquie, les pays du Levant et d’Afrique du Nord. Le collectif est complété par des rappels historiques sur la finance de la renaissance italienne. La finance pontificale et la finance islamique constituent en effet les berceaux de la finance internationale.

La finance méditerranéenne moderne recouvre en fait des systèmes et des usages empruntés à la fois à la finance occidentale et à la finance islamique. Les pratiques relevant de cette dernière demeurent toutefois encadrées par le Coran. L’espace méditerranéen se caractérise ainsi par un faible taux d’inclusion bancaire, un financement insuffisant des ménages et des PME-TPE, ainsi qu’une pénétration encore limitée de l’e-banking. La diversification des instruments financiers est toutefois engagée, mais elle rencontre des obstacles de nature socio-culturelle.

 

Saraceno Francesco, René Desbiolles, L’Economie à l’épreuve des Faits, Revue Banque (collection « transformation »), 132 pages.

Les auteurs retracent les combats d’idées entre économistes au fil des siècles. Ils sont ainsi conduits à relater les polémiques qui ont entouré la naissance de la macroéconomie et celle de la régulation économique par les marchés et/ou par les autorités publiques. Ils rappellent les grands affrontements entre écoles de pensées : classique, néoclassique, autrichienne, keynésienne, post- moderne … Un des intérêts du livre réside dans ses focus sur les politiques économiques contemporaines. Les auteurs montrent l’intérêt d’une observation rigoureuse des faits mesurables et mesurés, de préférence à l’exposé de théories, d’impressions ou de préconisations sur le cours de l’histoire. Le prix Nobel d’économie Paul Romer déclarait qu’« il faut réduire l’influence politique des économistes, car ils ne peuvent pas prétendre savoir ce qui est juste ». Leur rôle est plutôt d’assister les décideurs politiques et économiques.

Francesco Saraceno est directeur adjoint du département de l’Ofce-Sciences-po, auteur et enseignant notamment du Master affaires européennes à Sciences-Po., René Desbiolles est directeur des Diplômes, Titres et Certifications de l’Ecole Supérieure de Banque.

 

Zolomian M., Le contrôle de la gestion des sociétés cotées, Eds L’Harmattan, Préface de Hervé Le Nabasque.

Le capital des sociétés cotées est composé de différentes catégories d’actionnaires majoritaires et minoritaires, dont les intérêts peuvent être différents et/ou divergents de ceux des autres parties prenantes (salariés, fournisseurs, clients, administrations…). Les dirigeants de sociétés doivent en permanence arbitrer entre leurs diverses attentes. Afin d’éviter les conflits, l’auteur préconise de dresser une cartographie des intérêts respectifs des actionnaires et des autres parties prenantes, ainsi que des risques de conflits. Ils doivent ensuite définir et surveiller une batterie d’indicateurs leur permettant de prévenir ces risques et de suivre leur processus de traitement. En cas d’arbitrage, ils doivent s’assurer que leurs décisions ne portent pas atteinte à l’objet social et à la charte éthique de la société, et qu’ils respectent les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) si ces actions sont détenues par des investisseurs socialement responsables. Les conflits tranchés par voie de justice constituent des échecs pour les dirigeants et les contrôleurs de gestion de l’entreprise, car elles témoignent de l’inefficience des actions de prévention.

L’auteur est maître de conférences à l’Université de Saint-Etienne.

 

Le thème incontournable de l’économie digitale et collaborative

Un des thèmes récurrents des années 2010 et 2020 porte sur les avancées technologiques et l’urgence d’une adaptation des services publics et des activités des entreprises à l’intelligence artificielle, à la blockchain et à l’ingénierie collaborative. Plusieurs ouvrages en critiquent plus particulièrement les externalités négatives, avec les livres de Turin M., Start’up mania, de Gouritin A, Le startupisme, d’Abel M., Claret H. et Dieuaide P., Plateformes numériques. Utopie, réforme ou révolution ?, de Bouchez J-P., Innovation collaborative, et de Leboucher L, Tymen JL, Ruptures technologiques et création de valeur.

 

Les premiers essais de « l’après-Covid »

Levy B-H., Ce virus qui rend fou, Eds Grasset, 112 pages.

Le dernier essai de BHL est un plaidoyer philosophique en faveur de la responsabilité et de la liberté. Il dénonce le « grand enfermement » de la population mondiale au nom du « risque zéro ». Il invoque les philosophes comme Platon, Nietzsche et son maître Canguilhem, afin de s’insurger contre la « mise en servitude » des peuples au nom d’un nouveau « catéchisme virologique ». Il cite volontiers Michel Foucault, dénonciateur des nouvelles formes de panoptisme et observateur de la « naissance de la clinique », à l’occasion des épidémies de peste. Il dénonce la « sidération » des intellectuels » qui ont « fait parler le virus » en le qualifiant de « grand soir » sanitaire, de « crise finale », de « fin de l’histoire »… Il critique les « rentrez chez vous » et les « va-t-en guerre » des gouvernements et les « matraquages de masques et de gants » des médias. Il constate que la « litanie quotidienne des morts, entubés et hospitalisés » a permis le retour des « hygiénistes et des collapsologues ». Il n’épargne pas les médias qui s’extasient sur notre capacité à rendre sa place à la nature, à faire entrer l’air de la campagne à Paris, à renoncer au capitalisme international…

Il constate que les États-providence sont devenus des « États de surveillance ». Il rappelle que la pandémie a été l’occasion pour les leaders populistes à réactiver les nationalismes et pour les extrémistes à poursuivre leurs actions destructrices. Loi de constituer une forme de catharsis, la crise a contribué à réanimer les « vieilles lunes » souverainistes et socialistes.

Bernard-Henri Levy est philosophe, essayiste et auteur à succès.

 

Morin E., Changeons de voie, les leçons du coronavirus, Eds Denoel, 160 pages.

Edgar Morin a vécu toutes les crises du XXe siècle. Il propose de saisir l’opportunité offerte par la pandémie pour « changer de voie ». Il fustige la mondialisation des échanges et la délocalisation des usines occidentales, responsables du désarroi des nations européennes après la fermeture de leurs frontières. Il préconise une coexistence entre les mouvements apparemment contradictoires de mondialisation et de « démondialisation », afin de préserver à la fois les économies émergentes et les territoires désindustrialisés. Il propose de relancer la croissance des « services essentiels », comme la santé, l’éducation, l’agriculture biologique, les énergies vertes… Il conseille de réduire la part de « l’économie du frivole ou de l’inutile ». Il dénonce les inégalités sociales qui se sont creusées pendant la crise du Covid, et il propose de les combler en fiscalisant le capital, défiscalisant les bas revenus et revalorisant les petits métiers.

L’essai n’apporte pas d’idées réellement nouvelles, mais sa lecture laisse transparaître une volonté partagée de retour à l’essentiel, de respect du bien commun et de recherche (désespérée !) d’une « troisième voie » entre le capitalisme et le socialisme.

Edgar Morin (98 ans) est l’auteur de la Méthode, qui théorise la complexité du monde.

 

Greau Jean–Luc, Le secret néolibéral, Gallimard, 156 pages.

Pour Jean-Luc Greau, auteur reconnu et engagé, grand observateur du capitalisme et de ses dérives réelles ou supposées, savoir si l’expérience néolibérale que nous connaissons depuis quarante ans, est positive ou non, reste un faux débat, celui d’un prétendu retour aux sources du capitalisme. D’un côté, les idéologues néolibéraux ne se cantonnent pas seulement à prôner les avantages du libre-échange, mais le présente comme le moyen décisif de surmonter les nationalismes, « au nom d’une coopération volontaire des peuples, alors même qu’ils nous ont été imposés par le gant de fer des grands agents financiers et que les juges peuvent démanteler pierre à pierre les États » et que, de l’autre, l’expérience soviétique s’est appuyée sur une représentation du monde en noir ou blanc pour disqualifier ses critiques « incriminer la propriété et le marché et placer le travail humain sous le gant de fer du Parti et démanteler les institutions de la démocratie bourgeoise» .

Le Néolibéralisme n’a donc pas inventé cet esprit manipulatoire qui fait florès dans chaque régime et chaque époque des civilisations. Mais son « secret » semble donc tenir sur « une double mainmise des financiers et des juges, sur les Entreprises et les États, dont les pouvoirs économique, financier et législatif ont été réduits à leur portion congrue » Mondialisation et financiarisation allant ainsi de pair pour la meilleure création de valeur de l’actionnaire. Pour l’auteur, le système financier nouveau qui en résulte porte en lui les germes d’une révolution bancaire entrainant la déresponsabilisation des banques commerciales et une forme de privatisation des banques centrales. Dans ce nouvel et brillant essai, l’auteur plaide pour mettre fin à cet engrenage et propose des pistes originales pour y parvenir, car «la morale chasse le politique et ouvre des espaces de domination pour les bureaucrates. ».