Veltz P. , L’économie désirable. Sortir du monde thermo-fossile, Eds Seuil, 128 pages.

Pierre Veltz  s’interroge sur la mutation actuelle  de la « société hyper-industrielle », engendrée  à la fois par la responsabilisation sociale et environnementale des entreprises et par la crise pandémique.  Il se demande si  cette évolution ne conduit pas à une impasse, dans la mesure où certains fondamentaux de « l’économie verte » ne sont pas clairement définis. Il constate que les moteurs et les indicateurs de l’activité productive sont toujours la création de valeur financière pour les actionnaires. Les leviers de la santé, de l’éducation, de la culture et du bien-être  ne sont pas valorisés, sinon seulement comme des charges ou des facteurs indirects de productivité.

L’auteur plaide en faveur de l’émergence de nouveaux « cadres structurés » – d’une nouvelle « grammaire productive » – fondée sur des valeurs à la fois financières et extra-financières. Il prône une recherche  de cohérence entre les économies micro  (l’entreprise) et macro (la société). Il déplore que les seuls indicateurs officiels mesurant les impacts de la pandémie, sont la chute du PIB (qui cumule des valeurs ajoutées comptables), les faillites d’entreprises et les pertes d’emplois.  Il appelle donc à une refondation du paradigme socio-économique qui régit la société humaine.

Pierre Veltz (X-Mines) est ingénieur et sociologue. Il préside l’établissement public Paris-Saclay. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La société hyper-industrielle, Le nouveau capitalisme productif , Eds du Seuil, 2017.

 

Karsenty L. (dir.), L’entreprise libérée. Ça marche ?, Eds Octares, 291 pages.

Le modèle – ou l’utopie – de « l’entreprise libérée » est à la mode. Il recouvre « une forme organisationnelle dans laquelle les salariés ont une complète liberté et responsabilité pour faire les actions qu’eux-mêmes, et non leur supérieur, estiment les meilleures » (Getz, 2016). Les douze co-auteurs s’efforcent de montrer, par des réflexions théoriques, des retours d’expérience et huit études de cas réels, que ce modèle contribue à donner du sens à l’action des salariés des entreprises. Le modèle traditionnel du management, basé sur l’autorité et le contrôle, a atteint ses limites. Les acteurs des organisations recherchent désormais plus d’autonomie, de responsabilité   et de confiance, afin de pouvoir innover et s’adapter à des situations de plus en plus complexes et imprévisibles.

Les auteurs de l’ouvrage ont notamment cherché à comprendre l’origine, les principes  et  les  modalités de cette forme alternative et controversée d’organisation. Ils montrent que la libération de l’entreprise peut avoir des effets contradictoires, dans la mesure où certains acteurs sont encore demandeurs d’encadrement, et où d’autres s’engagent dans des procédures disruptives parfois risquées. De nombreuses questions restent sans réponses, notamment sur la gouvernance de telles entreprises, dont les actionnaires privilégient généralement la rentabilité financière à court terme de leurs investissements. Or, aucune étude n’a démontré jusqu’à présent qu’une entreprise libérée était plus rentable qu’une entreprise traditionnelle.

Les auteurs sont des enseignants-chercheurs de l’IAE de Paris, des consultants en GRH et des dirigeants d’’entreprises.

 

Attali B., Ouziel J., Trigano G., Bellanger S., Valoriser le capital immatériel des entreprises innovantes, RB Edition, 144 pages.

L’évaluation des entreprises constitue une des problématiques majeures de l’économie « post-Covid ». La chute de la rentabilité, l’envolée de l’endettement et la dématérialisation accélérée des processus des PME françaises, entraîneront les refinancements, les regroupements ou les faillites de nombreuses d’entre elles. Ces opérations donneront lieu à des évaluations de leurs actifs et passifs, qui s’avèreront d’autant plus fréquentes et difficiles que les PME non rentables (dites « zombies ») représentaient déjà plus de 15 % de l’ensemble des entreprises françaises avant la crise. Or, les méthodes conventionnelles sont de moins en moins adaptées à des entreprises confrontées à des environnements « volatiles, incertains, complexes et ambigus » (syndrome VUCA).

Les analystes s’efforcent d’engager des processus d’évaluation  à la fois  multi-méthodes, itératifs et dynamiques de valorisation. Ils font notamment appel à des notations (scorings) des  compétences des entrepreneurs et des managers, des capacités dynamiques des équipes, de la soutenabilité des modèles d’affaires, de la conformité des procédures, de l’agilité des systèmes d’information et de l’acceptabilité des externalités sociales, sociétales et environnementales des activités productives. Afin de concilier ces paramètres, l’évaluation s’inscrit dans un processus d’apprentissage par des simulations, des combinaisons  et des négociations collectives visant à transformer une valeur stratégique en prix négocié. Ce processus est parfois organisé suivant un graphe MPM (Méthode des Potentiels Méta) qui tend à réduire  l’asymétrie d’information entre les parties prenantes actuelles et futures de l’entreprise évaluée. Parmi les nouvelles méthodes, celle de la reference Value est basée sur le modèle DCF  avec des cash flows inflatés à un taux de croissance moyen du secteur,  corrigé par un rating IR (qualité des actifs immatériels) et un rating SR (soutenabilité des avantages stratégiques).  Le rating IR évalue quatre actifs pondérés (humain, savoir, marque, clients). Le taux d’actualisation retenu est établi à partir des ratings IR, FR (résultat financier), ER (contexte économique) et DR (transparence des données).

Les auteurs sont experts financiers, avocats d’affaires et formateurs.

 

Lire aussi : Le rôle du capital incorporel dans les valorisations des « entreprises stars »

 

 

Jacques de Larosière, 40 ans d’égarements économiques. Quelques idées pour en sortir, Eds Odile Jacob, 207 pages.

Le dernier livre de Jacques de Larosière est une magistrale leçon administrée aux gouvernants français des quatre dernières décennies. Son message est d’autant plus dérangeant qu’il n’émane pas d’un leader politique ou d’un économiste hétérodoxe, mais d’un financier mondialement reconnu. Avec un grand sens pédagogique, l’ancien gouverneur de la Banque de France et président de la BERD montre que la France « décroche » dans pratiquement tous les domaines : la baisse de la croissance économique, la chute de la productivité industrielle, la destruction d’emplois productifs, le recul de l’enseignement, la fuite des cerveaux,  le déséquilibre du commerce extérieur, la baisse du pouvoir d’achat des ménages, le creusement des déficits budgétaires, l’envolée des endettements public et privé … La perception du déclin français est amplifiée par des références systématiques à l’Allemagne, le « meilleur élève » de l’Union européenne. Par quelques chiffres puisés aux meilleures sources, il analyse l’enchainement des facteurs qui ont alimenté cette spirale : la désindustrialisation accélérée, l’alourdissement des dépenses publiques, la montée de la pression fiscale, un centralisme bureaucratique dupliquant un « millefeuille territorial », mais aussi, l’instauration des 35  heures et le maintien de la retraite à 62 ans. Il souligne que les politiques successives de redistribution n’ont pas comblé la fracture sociale ni dissipé le « mal-être des français » – perceptible dans les grèves et le mouvement des gilets jaunes.
Jacques de Larosière redoute la perpétuation, après la pandémie, du « quoiqu’il en coûte » et de « l’illusion monétaire ». Il rappelle que notre économie était déjà fragilisée avant la crise et qu’une remontée de l’inflation et des taux d’intérêt exigerait la prise de mesures fiscales et sociales difficilement supportables. Il alerte sur les multiples dangers de l’annulation des dettes publiques détenues par la BCE. Il en appelle au bon sens des gouvernants et des partenaires sociaux pour revenir à l’orthodoxie budgétaire et à la restauration de la rentabilité des entreprises. Son message est d’autant plus troublant qu’il a conscience de son caractère désespéré, en raison du tropisme électoraliste de la classe politique et de l’attachement des français à un modèle social malheureusement inadapté au « monde d’après ».

 

Benquet Marlène, Bourgeron Théo, La finance autoritaire. Vers la fin du néolibéralisme, Eds Raison d’agir, 2021,160 pages.

Les  auteurs  soulèvent la thèse selon laquelle le monde d’après-ovid  ne sera plus régi par un libéralisme néo-keynésien fondé sur une finance bancaire régulée, mais par un « libertarianisme autoritaire » dominé par la « finance de l’ombre » (ou shadow banking). Ils développent un raisonnement à la lois rigoureux et documenté, afin de démontrer que le Brexit a été moins provoqué par un rejet de « l’asphyxie bruxelloise » par le peuple anglais, que par l’activisme d’un mouvement pro-leave fomenté par les investisseurs de la finance de l’ombre (hedge funds, capital-investisseurs, gestionnaires d’actifs, traders quantitatifs…), opposés à  la « surrèglementation » européenne des marchés financiers.
Ces fonds ont soutenu de puissants think tanks, lobbies et influenceurs d’opinion (comme Atlas Network et Cambridge Analytica), Leur ambition serait de transformer le Royaume-Uni en « place offshore globale » ou « Singapour-on-Tamise », ouverte sur le Commonwealth, les Etats-Unis et l’Asie Pacifique. Ils rejettent le keynésianisme et le consensus de Washington. Ils se réclament d’un « capitalisme tardif » théorisé en 2014 par Bellringer et Michie, qui ont radicalisé les pensées de Friedrich Hayek et de Milton Friedman. Ils prônent des   gouvernances oligarchique de l’Etat et actionnariale de l’entreprise. Ils soutiennent une « privatisation de la nature », estimant qu’un marché socialement responsable est plus à même que l’Etat de protéger l’environnement. Les auteurs considèrent que cette nouvelle forme de capitalisme – observée dans un nombre croissant de pays sur tous les continents – ne peut longtemps s’imposer en raison de son caractère conflictuel et rétrograde.

Marlène Benquet et Théo Bourgeron (sociologues) sont enseignants-chercheurs dans les Universités de Nanterre et d’Edimbourg.

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