La chronique des livres : les derniers de « l’avant-Covid »
Vox-Fi inaugure une nouvelle chronique. Elle met à disposition de ses lecteurs un compte-rendu rapide des principaux livres publiés dans le domaine économique et financier en langue française. Jean-Jacques Pluchart nous fait le plaisir de tenir cette chronique régulière qui a pour objet de chroniquer les dernières publications économiques et financières en langue française. Comme l’activité éditoriale s’est pratiquement figée à partir du 15 mars, les premières chroniques porteront sur les publications parues « avant-covid ».
Le champ le plus exploré au cours de cette période porte sur les systèmes économiques et sociaux, avec notamment les trois livres suivants :
Les infortunes du juste prix, Chankovski V, Lenoble C, Maucourant J (dir.)
Eds Le bord de l’eau, 235 pages
Le juste prix est une des questions les plus débattues dans l’histoire des idées économiques. Les auteurs retracent l’évolution de ce concept depuis Aristote jusqu’à l’école de Chicago, en passant par le droit romain, les scholastiques, les caméralistes allemands, les physiocrates et l’école autrichienne. En fonction des courants de pensée, le juste prix est un « bon prix » issu d’un rapport de force négocié, un « prix légal » fixé par un processus institutionnel, un « prix concurrentiel » fixé par la main invisible du marché, un « prix équitable » assurant une juste rémunération du travail, un « prix naturel » reflétant la vraie valeur d’un bien, « un prix raisonnable » contribuant au bien commun, en assurant la prospérité économique et la paix sociale, un « pricing» calculé par un logiciel de place de marché … Le juste prix doit il être fixé dans le cadre d’une économie libre et ouverte, exempte de fraude et de situation de monopole, et/ou doit il être fixé par une autorité légitime soucieuse du bien commun ? Comme l’expression l’indique, la conception du juste prix fait appel à l’économie de marché et à la théorie de la justice. Les auteurs en déduisent que le mécanisme des prix est un des fondements du droit naturel.
Les sept auteurs du livre sont chercheurs au CNRS.
Economie et politique de la concurrence, Combe E.
Eds Dalloz, 539 pages
La nouvelle politique de la concurrence exercée par la Commission européenne suscite de plus en plus de controverses, comme en attestent les réactions récentes face au refus de la fusion entre les groupes Siemens et Alstom. Ces débats revêtent d’autant plus d’importance qu’ils conditionnent la politique industrielle du Vieux continent, face à celles de la Chine et des Etats-Unis. C’est pourquoi s’impose la lecture du dernier livre d’Emmanuel Combe, vice-président de l’Autorité française de la Concurrence. L’auteur présente un grand nombre de cas d’ententes entre entreprises (dans les commodités chimiques, les produits d’hygiène, les messageries, les agences de mannequins, la distribution de médicaments vétérinaires, le transport routier, la distribution en gros de produits pour la boulangerie…), d’abus de position dominante (Subutex, revêtements de toiture en zinc…), de contrôle des concentrations (Casino/Monoprix, FNAC/Darty…), de respect d’engagements (maintenance des équipements de distribution électrique, travail temporaire…)…
Ardant défenseur et meilleur spécialiste des règles de la concurrence, E. Combe livre notamment sa réflexion sur la régulation des pratiques et sur les positions dominantes des GAFA. Avec un grand didactisme, il présente les théories économiques, les textes juridiques et les principaux cas de jurisprudence qui encadrent les comportements des entreprises sur les marchés.
Emmanuel Combe (ENS Lyon, docteur en économie, agrégé de droit et d’économie) est Vice-président de l’Autorité française de la Concurrence et est le plus grand spécialiste français de l’économie de la concurrence.
Le Temps retrouvé de l’économie, Gaffard J-L, Amendola M, Saraceno F
Eds Odile Jacob, 280 pages
Selon les auteurs, le temps est ignoré des économistes, ou plutôt, dans la théorie néo-libérale, ses échelles sont indifférenciées entre les entrepreneurs, qui « créent » le futur, les investisseurs, qui le « planifient », et les régulateurs, qui en « encadrent » le cours. Les auteurs préconisent de modéliser les multiples temporalités des acteurs sociaux, et d’en saisir les potentialités et les contraintes. Ils revisitent les grandes problématiques actuellement débattues dans les milieux politiques et économiques : la régulation des différents marchés (industriel, financier, du travail…), les horizons des dettes publiques, les durées des responsabilités… Cette incapacité des économistes libéraux et keynésiens à maîtriser les temporalités, est longuement dénoncée par les auteurs, qui y trouvent l’origine de l’instabilité croissante des économies et de la société. Ils s’opposent au modèle walrasien de l’équilibre général comme à celui de l’Etat providence. Afin de limiter l’instabilité et l’incertitude, ils proposent que les horloges respectives des entrepreneurs, des investisseurs et des pouvoirs publics, soient conjointement maîtrisées .
Jean-Luc Gaffard est professeur émérite à l’université Côte d’Azur, chercheur à l’OFCE-Sciences Po et à Skema Business School. Francesco Saraceno est chercheur à l’OFCE. Mario Amendola est professeur à l’université Sapienza.
La culture de la croissance, les origines de l’économie moderne, Mokyr J
Eds Gallimard, 568 pages
La lecture du dernier livre de J.Mokyr est recommandée en ces temps de crise. Il s’interroge sur les origines de la culture de croissance qui anime la société occidentale et sur les entrepreneurs de croissance qui ont marqué son histoire. Il relativise l’importance des facteurs traditionnellement invoqués – le charbon anglais, la culture protestante, les institutions démocratiques – pour expliquer l’avènement de la société industrielle. Il attribue cette expansion à l’éclosion des savoirs utiles comme moteurs de progrès technique. « La culture technique partagée a changé les attitudes envers le monde naturel, considéré comme domesticable afin de servir l’intérêt matériel de l’humanité ». L’auteur rappelle les apports des principaux entrepreneurs culturels qui ont marqué l’histoire : Galilée, Bacon, Newton, les philosophes du siècle des Lumières… Il montre que ces penseurs de la République des Lettres échangeaient leurs idées grâce à leurs livres et leurs lettres et que cette confrontation a permis l’émergence de nouvelles visions du monde réel. C’est la diversité des cultures européennes qui a le plus contribué, au fil des siècles, aux plus grandes avancées scientifiques et techniques. C’est pourquoi il attribue la « stagnation séculaire » actuelle à l’universalisation de la culture contemporaine.
Joel Mokyr est un historien économique américano-israélien né aux Pays-Bas. Il est professeur d’économie et d’histoire à la Northwestern University