La chronique des livres : les premiers livres imaginant l’après-Covid
Artus P., Pastré O., L’économie post-Covid
Ed. Fayard, 125 pages.
Le livre pionnier est un des premiers à explorer les effets de la pandémie sur la vie économique. Après avoir rappelé l’histoire des précédentes crises sanitaires, les auteurs analysent les conséquences de l’arrêt de l’activité économique : effondrement de la production, explosion du chômage, déconsommation, chute du PIB, montée de l’endettement… La reprise de l’activité est hésitante en raison des nouvelles règles sanitaires. Les auteurs craignent notamment que l’accroissement de la masse monétaire conduise à des situations de bulles notamment immobilière.
Quelques pistes novatrices sont explorées afin de préparer la « période d’après ». elles passent par des ruptures dans la plupart des domaines. Les auteurs préconisent ainsi d’instaurer un revenu universel ciblé, notamment pour les jeunes et les personnes fragiles ; d’alléger la charge des entreprises en modifiant le système des retraites (départ en retraite à 65 ans) ; de réformer la formation professionnelle pour s’adapter aux nouvelles exigences du marché du travail ; de pratiquer des relocalisations sélectives, ciblant les technologies de pointe (aéronautique, médicaments) ; de restaurer la planification stratégique (ciblant les industries de pointe) et d’engager une véritable transition énergétique…
Patrick Artus et Olivier Pastré sont membres du Cercle des économistes.
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Boyer R., Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie
Eds Sciences humaines, 200 pages.
L’auteur soulève plusieurs questions fondamentales: « quels étaient les moteurs des trajectoires nord-américaine, européenne et chinoise et que deviennent–ils sous l’effet des politiques de lutte contre la pandémie ? Observe-t-on dès à présent un bouleversement des régularités passées ? ». Il constate que la pandémie a exercé un rôle d’accélérateur et de transformateur des capitalismes (qualifiés « de plate-forme ») et de la société (dite « de surveillance »). Ce phénomène a été initié par le développement de l’économie numérique et par la montée des GAFAM à partir des années 1990.
Mais la pandémie creuse les inégalités entre les groupes sociaux et les secteurs d’activité. Elle transforme les modes de vie, les visions de la société et les conceptions de la politique. Elle introduit une « incertitude radicale » dans les activités productives et marchandes, que seul l’État peut encadrer par une restauration de la planification indicative, par la garantie de la masse salariale, par la compensation (au moins partielle) des charges des entreprises et par la couverture des risques systémiques. Le traitement de la crise sanitaire impose donc un nouveau compromis entre les actions respectives des États et des marchés. L’État-nation est devenu le « protecteur des entreprises », le « bouclier de la demande », le « rempart contre le néo-libéralisme ». Il est désormais « le tuteur et le complément nécessaire des marchés ». La Covid vient démentir la thèse de l’École de Chicago qui surestime la capacité du marché à surmonter les crises majeures sans l’intervention de l’État.
Robert Boyer perçoit toutefois une contradiction entre le capitalisme global de plate-forme et le capitalisme d’État, car le premier est ouvert sur l’international et le second centré sur la nation. Il préconise la mise en œuvre d’une nouvelle forme défensive du capitalisme d’État tout en doutant de la possibilité d’un renouveau des politiques industrielles et d’un retour complet du capitalisme transnational.
Robert Boyer est ex-directeur d’études à l’EHESS et fondateur de l’école de la régulation.
Morin E., Changeons de voie, les leçons du coronavirus
Eds Denoel, 160 pages.
Edgar Morin a vécu toutes les crises du XXe siècle. Il propose de saisir l’opportunité offerte par la pandémie pour « changer de voie ». Il fustige la mondialisation des échanges et la délocalisation des usines occidentales, responsables du désarroi des nations européennes après la fermeture de leurs frontières. Il préconise une coexistence entre les mouvements apparemment contradictoires de mondialisation et de « démondialisation », afin de préserver à la fois les économies émergentes et les territoires désindustrialisés. Il propose de relancer la croissance des « services essentiels », comme la santé, l’éducation, l’agriculture biologique, les énergies vertes… Il conseille de réduire la part de « l’économie du frivole ou de l’inutile ». Il dénonce les inégalités sociales qui se sont creusées pendant la crise de la Covid, et propose de les combler en fiscalisant le capital, défiscalisant les bas revenus et revalorisant les petits métiers.
L’essai n’apporte pas d’idées réellement nouvelles, mais sa lecture laisse transparaître une volonté partagée de retour à l’essentiel, de respect du bien commun et de recherche (désespérée !) d’une « troisième voie » entre le capitalisme et le socialisme.
Edgar Morin (98 ans) est l’auteur de la Méthode, qui théorise la complexité du monde.
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Levy B-H., Ce virus qui rend fou
Eds Grasset, 112 pages.
Le dernier essai de BHL est un plaidoyer philosophique en faveur de la responsabilité et de la liberté. Il dénonce le « grand enfermement » de la population mondiale au nom du « risque zéro ». Il invoque les philosophes comme Platon, Nietzsche et son maître Canguilhem, afin de s’insurger contre la « mise en servitude » des peuples au nom d’un nouveau « catéchisme virologique ». Il cite volontiers Michel Foucault, dénonciateur des nouvelles formes de panoptisme et observateur de la « naissance de la clinique », à l’occasion des épidémies de peste. Il dénonce la « sidération » des intellectuels » qui ont « fait parler le virus » en le qualifiant de « grand soir » sanitaire, de « crise finale », de « fin de l’histoire »… Il critique les « rentrez chez vous » et les « va-t-en guerre » des gouvernements et les « matraquages de masques et de gants » des médias. Il constate que la « litanie quotidienne des morts, entubés et hospitalisés » a permis le retour des « hygiénistes et des collapsologues ». Il n’épargne pas les médias qui s’extasient sur notre capacité à rendre sa place à la nature, à faire entrer l’air de la campagne à Paris, à renoncer au capitalisme international…
Il constate que les États-providence sont devenus des « États de surveillance ». Il rappelle que la pandémie a été l’occasion pour les leaders populistes de réactiver les nationalismes et pour les extrémistes de poursuivre leurs actions destructrices. Loin de constituer une forme de catharsis, la crise a contribué à réanimer les « vieilles lunes » souverainistes et socialistes.
Bernard-Henri Levy est philosophe, essayiste et auteur à succès.